[Été 2009]
par Stéphane Bouchard
Si les jurys d’attribution ont d’abord été frileux à l’idée que la photographie soit incluse dans le programme du 1 %, c’est que les frais de préservation des œuvres incombent au propriétaire du bâtiment.
Lisanne Nadeau, critique d’art, commissaire indépendante et ancienne membre de jury décisionnel du programme, croit que la réticence des institutions publiques à y accepter les photographes tient en partie à la nécessité d’entretenir leurs œuvres. « Dans les comités, ce qu’on nous disait, c’est que la photographie est un médium fragile qui demanderait trop d’entretien. »
Le premier obstacle à surmonter était donc celui des contraintes techniques, notamment celle de l’impression sur papier. La pire chose que craint celui qui investit une somme importante dans une œuvre d’art est sa détérioration rapide. « L’autre argument qu’on invoquait pour refuser les projets photographiques, c’est qu’on voulait éviter les coûts de formation de personnel supplémentaire pour faire de l’entretien », continue Mme Nadeau. Les gestionnaires ne veulent pas avoir à dégager des sommes supplémentaires pour la conservation de ce patrimoine, ce qui est notamment requis lorsque le personnel d’un organisme est renouvelé.
Du côté du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF), on assure que l’arrivée progressive de la photographie dans le programme du 1 % ne s’est pas fait de mauvaise foi. Marie Perrault, chargée de projets au MCCCF, affirme qu’aucune exclusion quant au médium n’entre en ligne de compte lors des concours d’attribution des projets. Elle confirme cependant que ces œuvres ont dû s’affranchir de leur réputation de fragilité avant d’être incluses dans ce programme.
Mme Perrault affirme par expérience que les photographies imprimées avec du pigment sont généralement plus durables que les tirages traditionnels. À l’inverse, elle dit que les œuvres où le résultat est brûlé (les tirages lambda par exemple) nécessitent une attention particulière.
Si les jurys d’attribution ont d’abord été frileux à l’idée que la photographie soit incluse dans le programme du 1 %, c’est que les frais de préservation des œuvres incombent au propriétaire du bâtiment. Comme celles-ci sont souvent intégrées dans des écoles publiques, des hôpitaux ou encore des bibliothèques, il est compréhensible que certains gestionnaires ne veuillent pas hypothéquer les finances de leur établissement par des coûts d’entretien et de restauration plutôt difficiles à prévoir.
Chose intéressante, certaines initiatives semblables à notre Politique d’intégration des arts ailleurs dans le monde comprennent une clause de provision monétaire qui stipule qu’environ 5 à 10 % des sommes consenties à des projets d’art public seront consacrées à la conservation et à l’entretien de ces œuvres.
Quelques chiffres
Alors que les années 1980 ont marqué une période importante tant dans la productivité que dans l’inventivité des photographes, les projets du 1 % consacrés à leur art étaient proportionnellement sous-représentés. À cette période, on comptait plus ou moins cinq œuvres par année entrant dans une des sous-catégories photographiques qui étaient intégrées aux bâtiments publics. Ce n’est que durant les années 1990 que la photographie a fait progressivement son apparition dans le programme du 1 %, la technologie permettant dès lors de minimiser ses difficultés de conservation. Avec l’impression sur verre ou sur aluminium, il était devenu possible de créer une œuvre durable en utilisant un autre support que le papier. La pérennité des œuvres photographiques est ainsi assurée ou, du moins, leur conservation nécessite moins de soins. Dans les années 2000, le nombre de projets photographiques accepté au programme est ainsi passé à une dizaine par année, ce qui correspond au dixième des projets du 1 %.
Selon les chiffres fournis par le MCCCF, un peu plus de 220 œuvres du programme peuvent être considérées comme des œuvres photographiques. Mentionnons toutefois que la définition du ministère ratisse large : on y retrouve des photographies traditionnelles, mais aussi des sculptures, installations et autres œuvres utilisant des techniques mixtes et comprenant des photographies… Dans cette perspective, environ 10 % du patrimoine d’art public serait ainsi composé d’œuvres photographiques. Bon an mal an, un même pourcentage de projets de la Politique d’intégration des arts est attribué à des photographes.
Accessibilité
La notion d’accessibilité est une des caractéristiques premières de la Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement. Les édifices gouvernementaux qui accueillent des œuvres du 1 % ne sont pas toujours dédiés aux affaires ou à la politique. Des Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) ou encore des établissements scolaires et universitaires composent en grande majorité les lieux d’exposition des œuvres du programme. Souvent, les immeubles qui accueillent ces œuvres comportent une vocation sociale, et une des forces de la photographie est de se démarquer comme une forme d’art qui peut tenir compte de ce contexte particulier.
De tous les médiums artistiques, la photographie est celui qui possède un rapport au réel avec lequel peu d’autres peuvent rivaliser. « Avant même de reconnaître la démarche de l’artiste et de la comprendre, les visiteurs et les usagers des centres peuvent reconnaître des éléments de l’œuvre dès la première lecture », estime Lisanne Nadeau. De la même manière, par son langage plus près du concret que du figuré, elle est, entre toutes les formes d’art, celle qui peut rejoindre le public le plus large.
Un projet intitulé Entre nous (2001) de l’artiste Devora Neumark illustre ce caractère de la photographie. L’artiste y a impliqué les résidants du CHSLD Saint-Laurent/Les Cèdres. Il leur a été demandé de faire part de quelque chose qui leur plaisait dans leur résidence ou dans leur vie. Ces « préférences » ont ensuite été assemblées dans une murale qui les interpelle directement, en faisant référence à leurs souvenirs.
Le résultat est une œuvre touchante que peuvent s’approprier les différents résidants du Centre et leurs visiteurs. « En partageant leurs histoires et leurs rires, leurs souvenirs et leurs larmes, leurs espoirs et leurs inquiétudes, les personnes qui ont pris part à ce processus m’ont honorée de leur confiance »1, résume l’artiste sur son site Internet. Le récit intimiste qu’elle a proposé avec son œuvre, dans lequel les gens peuvent se reconnaître, augmente donc le sentiment d’appropriation par les usagers de ce collage photographique.
Depuis 1981, les mentalités ont évolué face au programme du 1 %. Les propriétaires d’œuvres ont maintenant une idée plus précise de ce qu’ils veulent : ils apprécient la variété des œuvres qu’ils possèdent déjà, et ils comprennent un peu plus l’intégration des arts et les questions soulevées par l’art actuel.
Dans le cas d’une université par exemple, chaque nouveau pavillon abritera son œuvre du 1 %. La chose peut sembler aller de soi, mais l’ouverture d’esprit grandissante des décideurs dans ces projets est imputable à cette « obligation » d’intégrer l’art à l’architecture. « Les commissions scolaires, par exemple, qui accueillent ces œuvres développent une certaine forme d’expertise. À chaque nouveau bâtiment, continue Mme Nadeau, on ajoute une nouvelle œuvre. Petit à petit, les dirigeants de ces édifices gouvernementaux s’habituent aux enjeux de l’art actuel et il devient plus facile de faire accepter certains projets. »
Avec un peu de retard dans le domaine de la photographie, le programme du 1 % aura fait probablement plus que n’importe quelle autre initiative pour éduquer et confronter le grand public avec l’art actuel. Si le programme du 1 % a constitué un patrimoine d’art public qui s’enrichit à chaque année, il démontre également que la créativité doit parfois se conjuguer avec des considérations d’ordre pratique pour donner sa pleine mesure.
Stéphane Boucharda étudié l’histoire de l’art et le journalisme à l’Université de Montréal. Après avoir travaillé aux communications de différents musées et organismes culturels (Mois de la Photo à Montréal, Centre national d’exposition de Jonquière), il est maintenant journaliste indépendant.