Le dossier thématique de ce numéro présente les œuvres récentes de trois artistes montréalaises sous l’angle de la dimension performative de leurs images. Les corps y sont mis en scène, en situations d’intimité, de proximité intrusive ou de confrontation à ses propres peurs, de sorte à faire pleinement ressortir la part que les proches, l’étranger et même l’animal occupent dans notre identité. L’une apparaît comme une véritable performance conçue pour être présentée en tant qu’œuvre vidéo et photographique, la seconde relève de la pose devant l’appareil photo en un ensemble qui fait tableau, alors que la troisième se focalise sur une série d’actions dont les images constituent le pivot de l’œuvre. C’est dire que la dimension performative advient essentiellement de « l’autre côté du miroir », lors de la préparation de la prise de vue, pour ne s’accomplir que dans le court instant de l’enregistrement. À nous de revivre et de ressentir, dans l’après-coup, la dimension existentielle qui y est mise en jeu.
Chez Jacynthe Carrier, nous sommes ici au plus près des corps, dans une proximité entremêlée où les effleurements et les touchers semblent faire intrusion dans l’espace personnel, instaurer une intimité insolite dans un tel environnement déserté et fusionner les parties de corps en une masse informe où le soi se dissout dans les autres. Pour Marisa Portolese, les dernières années de sa grand-mère italienne sont l’occasion d’un retour auprès de sa famille, dans un jardin qui incarne l’univers familial. Il en ressort une œuvre personnelle à portée universelle, avec des portraits aux poses hiératiques et des paysages et natures mortes qui ont valeur de symboles. Kim Waldron se met elle-même en scène dans un rituel de mise à mort afin d’outrepasser ses propres peurs. Une telle expérimentation du sacrifice animal destiné à la nourriture lui permet d’assumer le cycle complet de transformation de la nourriture, de célébrer la beauté de l’animal, de l’exposer et de la partager dans un repas entre amis.
On prêtera également attention dans ce numéro à l’entretien réalisé avec Luc Courchesne autour de l’œuvre très significative qu’il a produite pour Mme Phyllis Lambert dans le cadre de notre projet Sitegeist, dont nous présentons par ailleurs deux nouvelles réalisations. De même, dans la section Paroles, la « Lettre à Paul Wombell » que signe Jean Gagnon revient sur la thématique du dernier Mois de la Photo à Montréal pour apporter quelques précisions terminologiques. Enfin, la section Focus de ce numéro se compose, de façon exceptionnelle, uniquement de commentaires sur de grandes expositions photographiques, soit les éditions 2013 de CONTACT, à Toronto, du Mois de la Photo à Montréal et des Rencontres d’Arles, ce qui nous offre l’occasion de comparer l’ampleur et les spécificités de ces grandes manifestations. Bonne lecture.
Jacques Doyon