Nicolas Lévesque et Stéphane Pichard, Notes et documents sur le saisissement – Emmanuel Simard

[Automne 2013]

[Séquence], centre d’art contemporain, Chicoutimi
Du 10 mars au 21 avril 2012

Par Emmanuel Simard

Tout d’abord, une mise en contexte : Qu’est-ce qui a pu rapprocher un artiste de Nanterre (France), âgé de 45 ans, diplômé de l’ENSBA de Paris, d’un jeune photographe de 30 ans, diplômé du cégep de Matane et de l’Université du Québec à Chicoutimi en arts interdisciplinaires, cofondateur d’un collectif de photogra­phes, KAHEM ?

Cette rencontre a été rendue possible par le programme de résidences Géographies variables dans le but de favoriser les échanges entre les communautés artistiques et les pratiques liées à Internet. En collaboration avec Incident.net (France) et La Chambre blanche (Québec), les artistes jumelés ont séjourné à la galerie [Séquence] et ont été invités à prendre part au questionnement ayant pour thème la réalité physique et géographique dans une pratique d’art numérique.

Notes et documents sur le saisissement est une œuvre protéiforme empruntant de multiples langages et vocabulaires : cinéma documentaire et expérimental, photographie, reportage, installation vidéo interactive, Web. Sur la page Internet, l’œuvre est présentée comme un diptyque : du côté gauche, les images de Pichard ; de l’autre, les images de Lévesque. Doté d’une banque d’images de plus de cent (100) plans de chaque artiste, d’une durée de 1 seconde à 3 minutes, le montage, réglé par un algorithme informatique, défile de manière purement aléatoire. Le spectateur est invité, en faisant survoler le pointeur de la souris, à faire une pause dans l’un ou l’autre des deux écrans, suspendant ainsi le montage et créant du coup une photo, un moment de contemplation.

Les « films » montrent tout un éventail de scènes de la vie quotidienne, du monde du travail, de la nature. La caméra de Pichard, mobile, parfois nerveuse, filme une mouche sur le bord d’une fenêtre, un ventilateur en marche, une femme à la poupe d’un bateau ; Lévesque, pour sa part, offre des plans fixes cadrés impeccablement, filmant l’intérieur d’une église, la destruction d’un immeuble, des lutteurs amateurs, des bûcherons qui se font concurrence, des ouvriers fumant une cigarette.

Les images épurées, sans complaisance, les trames sonores tout en subtilité, calquées sur le réel, le rythme, la durée des plans invitent à la contemplation et plongent le spectateur dans un état de recueillement, de réflexion, pour ne pas dire de méditation. De plus, le caractère aléatoire et les scènes d’une banalité étudiée recréent une impression de réalité, gardant le spectateur dans le « connu » ou pour reprendre les mots du critique André Bazin, dans la vérité ontologique du cinéma.

Filmée, documentée, reprise par l’œil des artistes, la réalité revient au spectateur sous forme de dispositif de rencontre des images. Bien que ce spectateur sache que ces images n’ont pas été assemblées, de prime abord, pour créer un sens (elles tendent plutôt à enregistrer mécaniquement la vie et prétendent donc à une certaine objectivité), il cherche sans cesse à en « saisir » un. Ainsi les images se parlent, se répondent : dialoguent. Et c’est précisément dans ce dispositif que réside la force de l’œuvre. Notes et documents sur le saisissement offre l’espace nécessaire, – un contexte aux rencontres des images –, à leur choc, provoquant de ce fait l’acte de saisissement.

En enregistrant la réalité et en déve­­lop­pant des effets de réel, les deux artistes per­mettent à leurs images de « faire émerger la vérité intime du réel » chez le spectateur. Ce qui motive Lévesque et Pichard, c’est donc la capacité de chaque individu de ressaisir le sens d’une image qu’il a vue, dont il a été témoin ou qu’il a tout sim­plement consommée. Les deux artistes donnent dans cette œuvre lesoutils d’un tel acte.

1 André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? Site du projet : http://sequenceprojets.ca/saisissement/

 
Originaire de La Baie, au Saguenay, Emmanuel Simard est titulaire d’un diplôme en arts interdisciplinaires de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a publié des textes poétiques dans les revues Estuaire, Jet d’encre et dans divers fanzines Web et papier. Dans la dernière année, il a participé à plusieurs lectures publiques, ainsi qu’au Festival international de poésie de Trois-Rivières. En mai 2012, il a publié son premier recueil de poésie aux éditions Poètes de brousse, L’œuvre des glaciers, qui lui a valu le prix Découverte au Salon du livre du Saguenay–Lac Saint-Jean 2012.

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