Occurrence, espace d’art et d’essai contemporains, Montréal
Du 1er décembre 2012 au 12 janvier 2013
Par Manon Tourigny
Figure montante de l’art actuel québécois1, Jacynthe Carrier compose depuis 2008 un corpus photographique et vidéographique portant une signature distinctive qui examine la relation du corps à son environnement. Par des mises en scène où les tableaux vivants servent de vecteur pour marquer le paysage, l’artiste s’intéresse aux lieux transitoires (terrains vagues, zones en friche, etc.), posant ainsi un regard sur nos manières d’occuper le territoire. Telles des allégories, les images de Carrier abordent les rituels qui façonnent notre société, interrogeant au passage notre relation au lieu habité.
La série Parcours est composée de neuf photographies et d’une installation vidéo qui présentent un groupe d’individus se déplaçant dans une carrière de sable, endroit plutôt inusité pour déambuler. Dans la première salle d’Occurrence, les photographies laissent quelques indices sur les actions entreprises par les protagonistes, incluant celle présentée en vitrine. Deux images, plus particulièrement celles extraites de la vidéo, permettent cette lecture. La première présente des gens qui courent, le flou de l’image fixant ce mouvement. La seconde photographie expose un groupe d’individus, de tous les âges, formant un bloc. L’analogie avec le troupeau peut être avancée puisque ce regroupement semble au service de quelqu’un qui lui impose une direction, rôle que tient l’artiste dans toutes ses productions. Cette communauté attend un signal afin d’agir ensemble et souligne de cette manière les comportements collectifs qui façonnent la société. Chaque individu se fond dans la masse en adoptant une forme d’errance collective, marquée par la répétition des actions. Par ailleurs, il est à noter que cette série s’intéresse davantage aux individus par la présentation de portraits, que l’artiste présente de face ou de profil. Tous ces personnages fixent un point devant eux, manifestant un certain recueillement, une certaine forme d’intériorité. Ainsi, le rapport de proximité est activé par des plans rapprochés de visages et de corps marqués par la pluie. Il s’agit d’un temps d’arrêt dans cette course, un moment de repos.
Présentée au sous-sol, l’installation vidéo d’une durée de 5 minutes (coproduite avec La Bande Vidéo) permet de situer davantage le cadre dans lequel les personnages ont évolué. La sablière sert de terrain à une course où les performeurs semblent captifs de cet espace clos. Une corde blanche laisse transparaître la mise en scène de Carrier et détermine le champ d’action des performeurs. Celle-ci, telle une ligne du temps, leur sert de repère visuel. La caméra suit cette course, sans but ni fin, contre le temps et l’espace. Les corps s’inscrivent dans le paysage, ils occupent le lieu de manière à prendre la mesure de son immensité. Par les nombreuses dénivellations du terrain, les corps ralentissent ou accélèrent, ils habitent cet espace à leur manière, selon leur capacité physique. La caméra suit leurs faits et gestes mais n’intervient pas, elle documente plutôt l’action. Dans la vidéo, l’effet de troupeau est davantage marqué par les gestes répétés du groupe, de même que par la bande sonore qui est ponctuée par le rythme des coureurs dont on perçoit les pas qui résonnent sur le sol. Personnages en mouvement perpétuel, sauf à de rares exceptions, ils sont des vecteurs dans ce paysage.
Avec l’exposition Parcours, on remarque un certain épurement de l’ensemble tant dans la série photographique que dans la vidéo qui compose ce nouveau corpus. L’artiste délaisse ici l’abondance des accessoires que l’on retrouvait généralement dans sa production, notamment dans ses séries Rite2 ou Scène de genres3. Dans ces œuvres précédentes, des objets du quotidien (lampes, abat-jour, téléviseurs, chaises, matelas, meubles) servaient d’éléments de jeu qui permettaient de composer des situations dans des lieux improbables. Dans le cas de Parcours, il y a une économie d’accessoires, quelques objets ou des tissus sont pris en charge par certains performeurs, mais ceux-ci sont à peine visibles, laissant de l’espace aux actions entreprises par le groupe.
Par ce choix plutôt minimaliste, Jacynthe Carrier a souhaité « se concentrer davantage sur la présence du corps, son énergie, le geste, l’action en relation avec l’espace et voir ce qui émerge de cette relation entre le corps et le lieu et comment chacun habite l’autre.4 » De cette exploration il ressort des images où la mise en scène reste présente mais semble beaucoup moins dirigée, elle est plus effacée et beaucoup moins théâtrale. Les images photographiques et vidéographiques de Parcours s’appuient principalement sur la performance sans artifice, laissant entrevoir un nouveau tournant dans la production de Jacynthe Carrier.
1 Elle est récipiendaire du prix Pierre-Ayot 2012 remis à de jeunes artistes et qui vise à souligner l’originalité de leur création.
2 Vidéo présentée lors de la Triennale québécoise 2011 au Musée d’art contemporain de Montréal.
3 Le premier volet a été présenté à VU à Québec et le second à Caravansérail à Rimouski, tous deux en 2009.
4 Échange avec l’artiste, 7 janvier 2012.
Manon Tourigny est historienne de l’art, commissaire et auteure. Elle a rédigé de nombreux articles et textes pour des revues spécialisées et différents organismes culturels. Elle travaille actuellement au Centre d’art et de diffusion CLARK.
This text is reproduced with the author’s permission. © Manon Tourigny