[Printemps 2005]
par Cheryl Simon
Les projets d’installations basées sur la photographie, qui sont présentés dans ce numéro spécial de Ciel variable, manifestent un sens de la temporalité paradoxal. Lorsque exposées, toutes ces installations se déploient dans le temps, c’est-à-dire comme des images en mouvement ; cependant, la logique temporelle dominante qui caractérise ce corpus d’œuvres est celle de la fixité.
Pour cette raison, leur sensibilité temporelle se rapproche davantage de celle que l’on associe généralement à la photographie. Plusieurs des oeuvres ont été réalisées à partir d’images ou de sujets fixes. Le mouvement ajouté est minime, presque imperceptible – un arbre qui ploie sous le vent, un nuage qui flotte, un sujet humain qui bouge à peine si ce n’est pour respirer –, de sorte que lorsqu’il y a réellement action, cela semble surprenant, voire fortuit. Ces juxtapositions d’images fixes et en mouvement ont pour effet de perturber nos attentes et notre compréhension des dimensions temporelles et/ou historiques de chacune des technologies. Dans les œuvres présentées, un glissement s’opère dans les logiques temporelles de la photographie et du cinéma par le biais de ces juxtapositions. Animée par un léger mouvement, la base fixe de ces images ne signifie plus le temps passé, mais sous-entend plutôt la perception d’un temps qui commence ; la photographie ne témoigne plus de « ce qui a été », mais suggère « ce qui pourrait advenir ». Pareillement, le mouvement dans ces images n’a pas pour fonction de perpétuer le temps présent du moment de tournage, comme on s’y attendrait. Saisie dans un plan de situation statique, l’œuvre semble plutôt introduire de force un moment discret du passé dans le temps présent de l’expérience de visionnement. Le temps n’est pas dans l’image autant qu’elle est devant elle, dans le présent, du côté du regardeur, de notre côté de l’histoire.
Fait révélateur, une plus grande conscience historique semble imprégner ce nouvel art médiatique. Comme l’ont observé plusieurs des auteurs dans la présente livraison, les figures de rhétorique temporelle qui régissent ce corpus d’œuvres rappellent également certaines des formes, dispositifs et effets de représentation qu’ont utilisés et générés les procédures expérimentales et les applications commerciales des technologies photographique et cinématographique à des moments clés de transition dans leurs histoires respectives. Se prolongeant dans le temps, les tableaux vivants d’Adad Hannah rappellent la popularité de cette forme théâtrale au moment où la photographie et le cinéma remplaçaient les traditions populaires en théâtre qui les avaient précédé. Les caméras et donc les cadres fixes de Stan Denniston et de Fiona Tan évoquent pareillement les prises de vue conventionnelles qui ont été léguées par la photographie documentaire au cinéma. Et on pourrait dire des entrelacements d’images fixes et filmiques de Tetsuomi Anzai et de David Claerbout qu’ils produisent quelque chose se rapprochant du « ni l’un ni l’autre » des premières expérimentations sur la représentation du temps et du mouvement faites par Marey et Muybridge. Chacune de ces références nous rappelle la précarité relative de notre sensibilité temporelle. À cet égard, ces oeuvres soulèvent également des questions sur l’impact des récents changements technologiques sur les conventions et les formes de représentation qu’ils suscitent, de même que sur le type et la qualité de leurs divers effets subjectifs. En troublant les fonctions temporelles traditionnelles des médiums basés sur le temps, ces œuvres soulignent jusqu’à quel point, et combien subtilement, les formes de représentation façonnent notre savoir et notre perception du temps. Par extension, elles invitent également à spéculer sur les types d’expression temporelle auxquelles l’on pourrait s’attendre avec l’émergence des nouvelles technologies virtuelles. Comme l’avance Randolph Jordan dans son texte sur les travaux de NomIg Collective, ces œuvres basées sur le temps signalent peut-être une nouvelle conscience, l’éveil d’une perception plus à l’unisson avec une temporalité encore imperceptible qui existe de ce côté-ci de l’image, de ce côté-ci de l’histoire, dans le moment du je – maintenant.