[Automne 2010]
par Jacques Doyon
L’importante exposition rétrospective que le MoMA consacrait ce printemps aux travaux de Marina Abramović est venue marquer la pleine reconnaissance du champ de la performance par l’institution muséale. D’une certaine façon, cette exposition venait parachever un mouvement de réactualisation des performances historiques qui se déploîe depuis plus d’une décennie et auquel Abramowic a contribué de façon non négligeable. Plusieurs expositions ont par ailleurs été consacrées aux enjeux de la performance à Montréal ces dernières années. C’est dans ce contexte que nous consacrons le dossier de ce numéro au statut et à l’interprétation de la documentation des différentes formes de réactualisation dont les performances historiques sont aujourd’hui l’objet : mises en exposition, remédiatisations, appropriations et reenactments.
Réalisé sous la direction d’Anne Bénichou, professeure d’histoire de l’art à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM, ce dossier rassemble des analyses de cas détaillées ainsi qu’un essai sur les principaux débats et les prises de position sur le statut et les usages de la documentation de performances suscités par ce mouvement de réactualisation de la performance historique. David Tomas, artiste et théoricien, explicite les orientations qu’il a mises en œuvre pour la présentation de l’exposition rétrospective des performances et travaux de Tim Clark dont il a assuré le commissariat pour la galerie Leonard et Bina Ellen à l’Université Concordia. Barbara Clausen, historienne de l’art et commissaire, qui s’est beaucoup intéressée à ces questions, analyse les reenactments de performances réalisés par Luis Felipe Ortega et Daniel Guzmán, Seth Price et Kelley Walker. Cyril Thomas, historien de l’art et critique, rend compte des remédiatisations de performances réalisées dans l’univers virtuel de SecondLife par Eva et Franco Mattes, Joseph DeLappe et Lynn Hershman Leeson. L’artiste et réalisateur Mario Côté rend compte, quant à lui, du travail de réinterprétation qui a été nécessaire lors de la recréation, avec l’artiste, de l’œuvre Danse dans la neige de Françoise Sullivan. Enfin, l’essai d’Anne Bénichou offre une vue plus générale sur le contexte de réévaluation actuelle de la performance historique et sur les enjeux théoriques soulevés par l’usage de sa documentation.
Par ailleurs, les enjeux de la documentation occupent l’actualité de Ciel variable à plus d’un titre. Outre ce numéro spécial consacré à la documentation de performances, la revue a récemment mis en ligne le contenu intégral de ses plus de vingt ans de publication. Ces archives offrent un aperçu de l’évolution de la photographie contemporaine durant cette période. Les revues artistiques jouent en effet ce rôle essentiel de témoigner de la culture qui se fait maintenant – en documentant la réflexion et la création contemporaines – et constituent l’archive de ce qui sera le patrimoine de demain. Elles sont ainsi d’importants diffuseurs de la culture d’ici. Ce rôle est pourtant souvent mésestimé. Les récents déboires des revues, ballottées entre différentes priorités lors de la refonte du programme de soutien à l’industrie du magazine canadien de Patrimoine Canada, n’en sont qu’un exemple de plus. Même l’interruption de publication d’une revue aussi importante que Parachute n’a suscité aucun questionnement de fond. Il est plus que temps que les politiques de soutien aux revues de tous les subventionnaires soit réévaluées dans une perspective d’ensemble!