[Printemps 2001]
par Jacques Doyon
Les photographies de jardins et de paysages présentées ici ne donnent pas à voir les plantes, les fleurs et les arbres pour eux-mêmes, à la manière d’une documentation de botaniste. Elles chercheraient plutôt à mettre en lumière ce qui préside à l’arrangement ou à l’investissement de tels lieux et ce qui se joue dans notre lecture de ces images de la nature. Le jardin est un paysage, le paysage est un jardin…, façonnés tous deux par la culture de ceux qui les créent, les représentent, les contemplent.
Chacun de ces travaux opère en effet une mise à distance subtile de ce qui nous est donné au premier regard : la beauté des plantes et de leurs arrangements, leurs coloris et leurs textures, le paysage familier… ; cette distanciation opérant sur des modes très divers. Ainsi, les photographies luxuriantes de Scott McFarland, par-delà leur attrait, pointent vers les multiples enjeux culturels et sociaux sous-jacents à l’existence de ces lieux : domestication de la nature, propriété privée, automatisation de l’entretien des lieux au détriment du travail humain, intrications de l’esthétique des jardins et des démarches picturales… Le commentaire de Christopher Brayshaw fait voir l’oscillation du photographe entre son intérêt pour les plantes, dénoté par les titres des photographies, et le point de vue plus englobant du conceptualiste qui jette un regard analytique sur les conditions d’une telle mise en forme de la nature. Chez Michel Campeau, c’est l’acte même de photographier qui se donne à voir : avec les ombres du corps portées au sol, les postures nécessaires aux prises de vue, de même que les feuilles blanches, et les miroirs, où s’opère l’écriture de la lumière. Robert Graham montre par ailleurs tout ce qui est en jeu, sur le plan personnel, dans cette longue suite photographique (dont nous ne montrons ici que quelques extraits) par laquelle le photographe renoue avec la prise de vue photographique et une emprise directe sur le monde. Enfin, les photographies de Robin Collyer, réalisées en hommage à un membre disparu de la famille McCain, n’évoquent cette personne que de façon indirecte : dans le regard qu’elle aurait porté sur des paysages aimés et fréquentés. En raison du caractère générique des lieux évoqués, de leur banalité, du vague sentiment de familiarité qu’ils suscitent, c’est toutefois notre propre regard et notre propre expérience de lieux similaires que ces photographies sollicitent. Nous suppléons activement à ce qui se présente comme un manque, une absence. Le texte de Catherine Grout insiste ainsi sur la part d’interprétation et de projection suscitée par une telle série construite sur la sollicitation d’une présence.
En introduction, l’essai de Luc Lévesque rappelle la longue connivence de la photographie et du jardin. Contre l’idée de l’obsolescence de ces deux formes artistiques, il argumente pour leur pertinence renouvelée dans le contexte d’une accélération et d’une immatérialisation de nos vies, comme de l’image. L’attention au détail, et à la médiation perceptive qu’il induit, instaurerait une nouvelle relation au paysage, renonçant au point de vue unitaire pour plutôt proliférer à la manière du rhizome.
Le tout est complété par des commentaires de Sylvain Campeau sur Les Paysages incertains, d’Isabelle Hayeur, et sur Terrains vagues, publication des Éditions J’ai vu. Enfin, Anne Bénichou nous introduit à l’insolite Hôtel Soficalle, de Vera Greenwood.
Un mot, en terminant, à propos de la Maison Notman, cet édifice patrimonial, résidence du célèbre photographe montréalais William Notman dont l’imposant fonds d’archives photographiques est conservé par le Musée McCord qui est menacé par le projet d’un promoteur commercial. La ministre de la Culture doit rendre bientôt sa décision quant à la validité de ce projet de développement. Consultez le site www.w3dproduction.com/notman pour obtenir plus d’informations et offrir votre soutien.