[Automne 1995]
par Claude Thibault
Conservateur de la photographie, Musée du Québec
C’est au début de l’année 1994 que la décision a été prise de créer un secteur spécifique pour la photographie au Musée du Québec.
Plusieurs raisons ont milité en faveur d’une telle politique. D’abord le projet s’inscrit naturellement dans le programme de développement de l’institution qui agit comme conservateur du patrimoine artistique et stimulant de la création artistique au Québec ; ensuite, parce qu’il était légitime de reconnaître que la photographie est un langage visuel et, surtout, une voie originale de la création. Cette décision s’est imposée finalement en considérant que le musée d’art est probablement le meilleur contexte de présentation et d’évaluation que l’on puisse donner à la photographie.
Il ne faut pas croire que le Musée du Québec ne s’est pas intéressé à la photographie dans le passé. L’institution a organisé et présenté diverses expositions et procédé, également, à un certain nombre d’acquisitions. L’histoire de la constitution de cette petite collection remonte au début des années 1950 alors que Gérard Morisset dirige l’institution. Intéressé par l’histoire et les origines de la photographie au Québec, le célèbre historien de l’art effectue plusieurs travaux de recherche sur les premiers photographes et publie l’une des premières études sur le sujet dans la Revue populaire en 1951. Il faut encore souligner que, l’année suivante, il expose des œuvres originales de Samuel McLaughlin, de William Notman, de George William Ellison, de Livernois et de Pinsonnault dans l’importante Exposition rétrospective de l’art au Canada français. Ces réalisations sont à l’origine de la redécouverte de la photographie au Québec et entraînent les premières acquisitions faites par le Musée. Ces vieux clichés sont pour Gérard Morisset une source inépuisable d’information pour l’étude et la conservation de l’architecture ancienne. Mais il prend soin d’insister sur les qualités artistiques de ces images dont il définit les caractéristiques formelles et stylistiques.
Au début des années 1970, la photographie, tout comme l’estampe, connaît un essor remarquable. Ces œuvres dites plus démocratiques connaissent une large diffusion à cause de leur existence sous forme de multiples. Reconnu comme un moyen de création artistique, son développement est, aujourd’hui, relié à celui des autres arts. La photographie côtoie les autres médias dans les expositions. Dernièrement, le Musée du Québec a effectué plusieurs acquisitions lors de certaines de ces manifestations. Ainsi lors de l’exposition Un archipel de désirs en 1991, l’institution se porte acquéreur de deux œuvres devenues célèbres : La Fêlure, au choeur des corps (1990), de Geneviève Cadieux, et Generic Man (1989), de Jana Sterbak. Mais le nombre d’œuvres ne dépassera pas deux cents pièces dans la collection. Par contre, le Musée acquiert par le biais de la collection Prêt d’œuvres d’art près de deux cents trente-quatre pièces photographiques contemporaines en un peu plus de dix ans.
La décision du Musée du Québec de rassembler une collection de photographies s’applique à la production et à la pratique au Québec depuis les origines jusqu’à nos jours et la diversité de son utilisation. Le projet institutionnel a pour ambition de constituer une collection qui puisse permettre de comprendre le développement historique de la photographie au Québec, d’en saisir les caractéristiques et d’apprécier ce qu’elle a par elle-même apportée aux autres disciplines.
L’exposition Présence de la photographie dans la collection du Musée du Québec présente des œuvres du XXe siècle surtout contemporaines. Plusieurs ont été sélectionnées parmi la centaine d’œuvres que le Musée du Québec vient d’acquérir. Le visiteur y découvrira des compositions inédites dont celles créées, par exemple, par le peintre Frederick Simpson Coburn en 1938 montrant Carlotta dansant sur une plateforme dans différentes poses sur un fond de ciel. Les œuvres de Jauran — l’un des principaux animateurs de la peinture non figurative à Montréal durant les années 1950 — par leur caractère expérimental, sont à l’origine de la création d’un langage spécifique à la photographie au Québec. Plusieurs autres œuvres réalisées au cours des décennies suivantes, comme Is Politics Art? (1975), de Robert Walker, et Séquence de la mer (île de Wight) (1984-85), de Richard Baillargeon, continuent l’exploration pénétrante de la photographie au XXe siècle.