Paysage Passé Futur
Une brève histoire de la production culturelle – 1e partie
Galerie Ellephant, Montréal
Du 12 septembre au 12 octobre 2019
Par Sylvain Campeau
(French only)
Dans cette exposition en position satellitaire par rapport au méga-événement Momenta : Biennale de l’image, Adam Basanta, récent lauréat du prix Pierre-Ayot 2018, abandonne ces machines dont il était friand et dont il offrait des versions remaniées et paradoxales pour aborder l’image photographique. Il le fait avec panache mais encore au moyen d’une procédure qui n’a rien à envier à ce qui fait son ordinaire. Il s’agit cette fois pour lui de piller les fonds accessibles de peintures de paysage et des images existantes de ceux, en provenance de musées importants. Les titres de ses œuvres vendent donc la mèche. 19th century photographic vistas (cross-hatch) sont ainsi le colligé et le résultat d’une accumulation d’images, quarante huit au total, en provenance des États-Unis, de l’Égypte, de l’Afrique du Nord et de l’Asie, telles qu’elles ont été prélevées dans les bases de données de la collection du Metropolitan Museum aux États-Unis. Dutch Landscape (Cross-hatch) montre la conséquence de l’agrégat de dix-neuf tableaux de maîtres hollandais du 17e et 18e siècles, en provenance des collections du Metropolitan Museum, encore une fois, et du Rijksmuseum des Pays-Bas. Important Canadian Landscapes: Lakes and Sky donne la mesure des traits accumulés et superposés de dix-neuf œuvres picturales importantes qui ont été « mobilisées » par l’artiste et ses outils informatiques depuis le fonds des enchères Sotheby’s. Ces institutions prestigieuses ne sont pas les seules à avoir fait les frais de l’avidité accaparante et esthétique d’Adam Basanta. Le Louvre et la Tate Gallery sont aussi dans la liste des institutions « pillées » par lui.
Évidemment, ses œuvres ne pourraient exister sans les politiques qui permettent le libre accès, par le biais du réseau internet, aux prestigieuses collections du monde entier. Sans ces établissements qui nous les rendent accessibles, Basanta n’aurait pu construire aucune de ces œuvres. Elles donnent ainsi la mesure de cet archivage mondial, tout comme du fait que tout ce qui a pu être un jour créé de peine et de misère puisse devenir saisissable et appropriable d’un simple clic de clavier. Je simplifie quelque peu, on l’aura compris.
Parce qu’encore fallait-il « informer » un outil informatique pour qu’il veille à ces ponctions et créer cet outil de telle sorte qu’il puisse fusionner toutes ces prises en une seule image, en une sorte d’idéal-type permettant de voir de quels traits singuliers, de quelles données communes peuvent être constituées toutes ces œuvres. Le canevas qui en découle devient une sorte de version réifiée, un résumé fait œuvre. Nathalie Bachand, dans le texte qui accompagne l’exposition, nous apprend que, pour réaliser ces œuvres, l’artiste a fait agir de concert un programme d’« apprentissage machine de réseaux antagonistes génératifs », un filtre de métadonnées (qui cible des médias spécifiques, des origines géographiques ou des mots-clés de métadonnées) et un logiciel « personnalisé » de composition en mosaïques. »
On ressort de cette expérience de vision avec la curieuse impression que le paysage est déjà une idée lointaine, engluée quelque part dans les arcanes de l’histoire de l’art, comme la réalité tangible même du monde naturel l’est de plus en plus, s’étiolant sous les coups de butoir du progrès et de ses bouleversements destructeurs.
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambres obscures : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de six recueils de poésie dont le tout dernier, Herbe… rare. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.