Robert Walker, Du fusain à l’aérosol. L’art de rue à Montréal

[19 janvier 2022]

Robert Walker explore ici les différentes manifestations de l’art de rue dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve où il réside. Un projet haut en couleurs dans lequel graffiti et murales rivalisent avec les superhéros et autres personnages de bandes dessinées pour rendre compte d’une culture populaire toujours vibrante.
 

  
Par Robert Walker

Un viaduc ferroviaire situé rue de Rouen, dans l’est de Montréal, a été confié à des graffeurs. L’activité est constante sur le site, avec parfois entre quinze et vingt artistes qui travaillent à la fois. J’ai demandé à l’un d’eux s’il existait des règles non écrites à propos de la surpeinture du travail des autres. Il m’a répondu que non, que c’était à la discrétion de chacun. Il m’a expliqué, avec sérieux, que « l’art était dans le faire », une déclaration qui, à mon avis, aurait pu faire écho à un sentiment exprimé antérieurement par Jackson Pollock, mais dans son cas, les résultats du « faire » sont encore vénérés soixante-quinze ans plus tard. À un autre, j’ai posé cette question : sa murale complexe, créée sur de nombreuses heures, allait-elle durer une semaine? « Une semaine! », s’est-il exclamé. « Au moins vingt-quatre heures, j’espère! »

Indépendamment de la nature fugitive de l’œuvre réalisée, il régnait une atmosphère communautaire joyeuse, accompagnée d’une cacophonie musicale hurlée par plusieurs appareils portables. J’ai revécu les années de ma formation en arts, alors que l’ambiance était complètement contraire – tous les étudiants étant on ne peut plus sérieux, travaillant avec anxiété et calcul, avec un esprit de compétition plutôt que d’harmonie et de coopération.

Si la plupart des œuvres produites dans le « tunnel » entrent dans la catégorie de ce que j’appelle le graffiti international, plusieurs références à l’histoire de l’art s’infiltrent dans quelques-unes d’entre elles, comme une représentation op’art de la Joconde, rappelant le travail de Victor Vasarely, et des variations sur les boîtes de soupe d’Andy Warhol.

Quelques pâtés de maisons plus à l’est, dans la même rue, le contraste est saisissant avec une petite cour où se trouve l’antithèse de l’extravagance des graffitis. Bien qu’on observe là une nette fracture générationnelle dans la conception, la créativité n’en est pas moins autant au rendez-vous. Un auteur solitaire a produit, pendant une décennie, une série de figures découpées et peintes sur du contreplaqué, représentant une grande variété de personnages fictifs. S’y trouvent une collection de super-héros issus d’albums américains, ainsi qu’un groupe de protagonistes bien connus de bandes dessinées européennes. Ces figures sont habituellement installées lors d’occasions spéciales, au grand plaisir des enfants. Les tableaux colorés, mais statiques, semblent fonctionner comme un parfait contrepoint pour opposer l’expressivité indisciplinée et énergique des graffeurs à une nostalgie non dissimulée d’une époque moins complexe véhiculée par ces illustrations simples et unidimensionnelles.

Le reste du quartier ouvrier d’Hochelaga-Maisonneuve est truffé d’une abondance de murales produites par des amateurs et des professionnels, ornant hangars et portes de garage dans les ruelles ainsi que les murs de petites entreprises. En dépit de leur qualité parfois douteuse, elles semblent toutes s’intégrer avec succès dans le tissu urbain.

Devant certains des dessins d’animaux sauvages du tunnel, je me suis rappelé d’un récit que m’a fait le critique d’art américain, Max Kozloff. Au début des années 1960, il a eu l’occasion de voir les peintures préhistoriques vieilles de dix-huit millénaires des grottes de Lascaux, dans le sud de la France. Il a été parmi les derniers visiteurs à accéder à celles-ci avant leur fermeture permanente au public, en raison de la détérioration des murales causée par la contamination humaine. Il m’a dit avoir été frappé par la beauté des illustrations et ébloui par les couleurs vives, qui lui ont donné l’impression d’être dans une discothèque. On ne peut qu’imaginer ce que les archéologues du futur feront de notre civilisation lorsqu’ils analyseront les innombrables couches d’images du tunnel de la rue de Rouen.
Traduit par Marie-Josée Arcand