Par Sylvain Campeau
Commissaire : Anne-Marie St-Jean Aubre
Musée d’art de Joliette
Du 3 février au 6 mai 2018
De Jacynthe Carrier, on a déjà vu des séries qui semblaient documenter des rituels collectifs, des processions vaguement théâtralisées, des cérémoniaux dont on ne saisissait pas toute la teneur, mais auxquels les officiants participaient avec solennité. Les images saisies de ces pratiques se montraient en plans généraux et larges, captés par des objectifs permettant de représenter ces ensembles de façon globale, favorisant des angles de vue plus enveloppants. L’ensemble était composé aussi bien de clichés fixes que d’images en mouvement.
Sans être totalement différent, ce n’est plus tout à fait le cas ici, avec cette dernière exposition dont Anne-Marie St-Jean Aubre assure le commissariat au Musée d’art de Joliette en sa qualité de nouvelle conservatrice à l’art contemporain. Sur les quatre écrans qui se présentent les uns à la suite des autres dans la plus petite salle derrière le comptoir de la réception du musée, les personnages apparaissent cette fois dans des environnements boisés, près d’un cours d’eau ou d’une clairière, en train de se livrer avec sérieux à des activités dont pourrait bien dépendre leur survie. Cette fois, cependant, les prises de vue sont soumises à un encadrement plus étroit qui met l’accent sur les activités réalisées par les protagonistes. Nous avions déjà vu cela avec Brise glace soleil blanc, en 2016, à la galerie Antoine Ertaskiran. Sauf qu’à Joliette, il y a quatre écrans et que ceux-ci sont d’une taille telle qu’elle permet une scrutation attentive et appuyée de notre part, dans une salle aux dimensions quand même impressionnantes. Ajoutons que l’environnement des images de la précédente exposition était celui d’un bord de mer, alors que celles de Joliette montrent un écosystème de forêts mixtes.
Cet encadrement plus serré permet d’accorder un surcroît d’attention aux actions menées par les personnages. Il s’agit donc, pour eux, de défricher, dérocher, arpenter, cueillir, semer, s’abreuver, s’immerger, attacher, filer, broder, tordre, saupoudrer, empiler. Chacune de ces opérations est exécutée avec une concentration soutenue et un soin méticuleux. Les gestes et actions semblent revêtir une importance cruciale ; il en irait peut-être de la survivance même de l’individu et du groupe. Ils sont de plus une manière d’entrer en relation avec l’environnement qui fournit ainsi matière à survie. On ne sait pas réellement à quoi ces actes peuvent servir. Leur gratuité illustre cependant d’autant mieux le caractère nourricier et salvateur de l’environnement. Comme tels, les protagonistes ne cessent de s’en remettre à lui pour s’occuper à des tâches qui composent leur ordinaire quotidien et qui doivent bien satisfaire un quelconque besoin.
Ce qu’il y a d’intéressant et de fondamental dans cet univers filmique, c’est qu’on ne sent pas une intention marquée de s’en remettre à un courant identifié de la photographie actuelle ou passée. On ne pourrait rattacher Jacynthe Carrier à la mise en scène des images ou à la théâtralisation ; on ne pourrait pas plus lui attribuer une intention écologique; on ne saurait la voir comme une pure adepte du paysage. Pourtant, il y a un peu de tout cela dans ce qu’elle fait, chacune de ces tendances apparaissant être administrée à petites doses pour faire de l’ensemble quelque chose qui n’appartient qu’à elle, qui est sa manière propre et singulière.
À cette combinaison dans les scènes des vidéos s’ajoutent quelques images-photos. De celles-ci, on ne sait que penser. Sont-elles des photogrammes qui offrent des détails extraits du film ou sont-elles issues de la scène même ? Sont-elles là pour accorder un surcroît de réalité à ce qui fut et dont les images en mouvement offrent l’histoire ? Ou sont-elles un autre moment du tournage d’une construction narrative dont le film est le résultat ? La question ainsi posée semble peut-être oiseuse.
Quoiqu’à bien y penser, peut-être ne l’est-elle pas tant que cela ! Devant des scènes filmées, il y a tout de même une part de nous qui veut croire ; qui, de la vraisemblance de ce qui nous est montré, veut faire véracité. Comme l’expérience que nous avons des images-photos nous porte à croire à la réalité de la scène croquée, le fait d’en joindre quelques-unes, de même scène, aux projections vidéo contribue encore plus à tirer la prestation du côté du réel.
Le récit qui sous-tend les performances montrées participe de l’uchronie, construisant un univers fictif à partir d’une réécriture de l’histoire, fondée sur des scènes diverses réunies autour d’un axe narratif un rien flou, mais très évocateur. La particularité de Jacynthe Carrier, c’est de travailler à partir des codes de la photographie et de la vidéographie et de ce que l’on connaît de leur spécificité, les abordant tous deux par la bande en quelque sorte, jouant de leurs caractères génériques propres.
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambres obscures : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de six recueils de poésie dont le dernier, Herbe… rare, est tout récent. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.