[30 novembre 2021]
Par Louis Perreault
Dans la Mosquitia, une région côtière du Nord-Est du Honduras, sévit la femme de l’eau, mieux connue localement sous le nom de liwa mairin. Pour les pêcheurs téméraires qui plongent dans les profondeurs de la mer des Caraïbes, y chercher des concombres de mers et autres trésors comestibles, le prix à payer est trop souvent la malédiction de cette sirène qui n’accepte guère qu’on vide son territoire de toutes ses créatures à pinces et de ses langoustes merveilleuses. Cette malédiction, par contre, n’a rien d’un conte ou d’une légende, c’est la tragédie d’une paralysie soudaine, causée par la création de bulles gazeuses dans le corps de ces plongeurs des profondeurs, mal équipés et risquant leur vie pour un salaire de misère.
liwa mairin est un livre1 qui porte sur ses épaules l’énorme tâche de rendre compte d’une réalité sociale, économique et humaine complexe et de traduire visuellement toute la portée narrative et symbolique de la légende qui lui prête son titre. En un peu moins d’une trentaine d’images, le livre fait preuve d’une économie de moyens surprenante afin de tendre vers cet objectif. Les individus anonymes qu’on aperçoit tout au long de la séquence font partie d’une narration non linéaire, dans laquelle leurs postures, leurs gestes et leurs yeux clos invitent le lecteur à méditer sur le sort des plongeurs vivant dans ces lieux marqués à la fois par la beauté tropicale et par le deuil.
Cependant, une première lecture poussera le non-initié à se questionner : que sont ces capsules au hublot circulaire et qui sont ces hommes cachés derrière la vitre, paraissant dormir dans la noirceur ? À qui pense cette femme sur laquelle tombe une lumière douce et dont le regard est plongé dans la rêverie ? Où s’en va cet homme, à la toute fin du livre, fixant l’espace devant lui ? Les réponses ne pourront être que partielles, puisque l’artiste fait le choix d’exploiter les photographies davantage pour leur potentiel d’évocation que pour l’information qu’elles offrent concrètement. Ainsi, cet ouvrage tient sur le fil ténu qui relie le reportage photographique et la poésie visuelle. Par moments, on souhaiterait se faire raconter toutes ces scènes, mais on ne peut que se laisser porter par l’univers onirique que propose l’artiste dans sa suite d’images.
Que l’on soit à la surface du territoire ou sous l’eau, Valérian Mazataud choisit de nous amener dans son histoire par bribes d’informations. Dans chacune des images, les objets et les personnages sont isolés, forçant notre imaginaire à relier ces points épars comme les étoiles d’une constellation. Ce n’est d’ailleurs qu’avec le recul, une fois la lecture complétée, qu’on en aperçoit la forme. L’omniprésence de la mer, des poissons et des équipements de plongée sous-marine sont certes des repères dans la lecture. Or, c’est en guise de conclusion que l’auteur nous éclaire, grâce à un poème racontant la légende de la liwa mairin et au récit du destin tragique de Marvin, noyé « au bout des 150 pieds de tuyau qui le reliait à la surface » et duquel « pendait un embout d’où s’échappaient quelques bulles d’air rance ».
Comme pour plusieurs livres puisant à la fois dans le réel et l’imaginaire la source de leur propos, liwa mairin s’apprécie dans le retour répétitif à la séquence, et parfois même dans la recherche qu’on fera en dehors de l’ouvrage pour approfondir nos connaissances de la réalité des pêcheurs honduriens. Ainsi, c’est dans un va-et-vient entre le factuel et le poétique que se révèlera l’essence de notre lecture. Au centre du livre, par exemple, une séquence d’images sur des pages repliées vers l’intérieur nous plonge dans un moment d’une intensité sans égal. On y aperçoit des hommes et des garçons soufflant dans de larges coquillages, ou dansant et frappant sur des tambours de fortune. S’il est certainement facile d’imaginer que le groupe profite simplement d’une soirée de congé pour fêter la fin d’une saison de pêche ou un autre événement au calendrier, il devient difficile, suite à la lecture, de ne pas y voir une sorte de cérémonie incantatoire, appelant dans les profondeurs de l’océan celle qui règne sans pitié sur le grand bleu et toutes ses créatures.
Louis Perreault vit et travaille à Montréal. Il déploie sa pratique à l’intérieur de ses projets photographiques personnels ainsi que dans les projets d’édition auxquels il collabore grâce aux Éditions du Renard, qu’il a fondées en 2012. Il enseigne la photographie au Cégep André-Laurendeau et contribue régulièrement au magazine Ciel variable, pour lequel il recense la parution de livres photographiques.