Battre le pavé, La photo de rue à Montréal, Vu du trottoir – Stéphanie Hornstein

[Été 2025]

Vu du trottoir
par Stéphanie Hornstein

[EXTRAIT]

Peu de gens ont réellement transformé ma façon de voir la ville qui m’entoure. L’un était un ami graffiteur qui m’a amenée sous le viaduc Ville-Marie et m’a montré comment décoder les lettres bulles et les arabesques qui forment les signatures des tagueurs les plus renommés de Montréal. L’autre était Edith Mather. J’ai découvert son œuvre il y a quelques années lors d’une visite aux archives du Musée McCord Stewart. Soigneusement classées dans des pochettes de plastique se trouvent des milliers de photographies réalisées par Mather à l’apogée du « renouveau urbain » de Jean Drapeau – une période où des manoirs majestueux ont été détruits et des quartiers ouvriers entiers rasés. L’observation de ses images m’a ouvert une perspective à laquelle je n’avais pas encore songé lors de mes pro­pres déambulations dans la ville. La plupart de ses photographies témoignent d’éléments fantasques de l’architecture victorienne montréalaise ; ici, une corniche, là, une gargouille joufflue, une façade art déco, de la neige sur une rampe d’escalier en fer forgé. D’autres présentaient des buanderies délabrées, les résidences en briques rouges du quartier Saint-Henri et des bâtiments en état de démolition. Mather a également accordé une attention particulière aux inscriptions « garçons » et « filles » qui parent les entrées des vieilles écoles – peut-être à cause de son fils Geoffrey, qu’elle emmenait souvent lors de ses excursions photographiques. L’image mentale que je me suis façonnée de Mather poussant le landau de son enfant dans la rue, s’arrêtant parfois pour prendre une photo d’un détail qui avait frappé son attention, m’a touchée, tout comme le fait que nombre des constructions qu’elle a immortalisées n’existent plus. Si son style est résolument direct, presque investigateur, ses photographies portent en elles une urgence silencieuse qui nous prie de « regarder là ! » et « remarquer ça ! », de crainte que les choses captées aujourd’hui ne tombent demain sous le boulet de démolition.

[…]

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 129 – D’UN CONTINENT À L’AUTRE ]
[ L’article complet en version numérique est disponible ici : VU DU TROTTOIR]


Stéphanie Hornstein est doctorante en histoire de l’art à l’Université Concordia. Ses recherches portent sur la photographie de voyage du dix-neuvième siècle en Égypte et au Japon.