[Printemps 1989]
par Hélène Denoncourt
C’est un véritable aimant. Il vous harcèle continuellement, une fois que vous vous y êtes donné, même un tout petit peu …
Pourtant, il fait mal tellement il est froid, il fait peur tellement il est loin. Il est aussi grand que la mer, et je vous le jure, il s’agirait d’un souffle de trop, pour que je m’y noie pour toujours.
C’est le Nord, le grand, celui qui jamais ne deviendra petit, parce que déjà, il a dépassé les pires catastrophes, parce que déjà, son ciel avec ses aurores, ressemble à un ciel nucléaire.
Prendre une marche entre ses mains, c’est à chaque pas, entrer dans la légende, c’est me sentir guettée par une fée, un extra-terrestre… C’est être certaine que le plancton-néon qui perce la neige de sa lumière turquoise, m’illumine un chemin pour moi toute seule, vers la dernière frontière, celle qui sépare le repos de la bêtise.
Je ny peux rien, la constellation du Nord est ainsi faite, de force, elle me traîne vers l’irréel, là où la neige est comme le roc, le roc comme la glace, le ciel comme la mer. Là, où pendant des heures, anesthésiée par le temps, j’attends que rien ne se passe. Là, où mon cœur bat parfois si fort, qu’il me faut le tenir à deux mains, pour ne pas qu’il heurte de son rythme insolent le calme plat du Nord.
Le bien et le mal que me fait cette nature se fondent indistinctement sous mes yeux sans que j’en saisisse l’intention… «Va-t-elle me bouffer ou me ressusciter?»
Je m’étonne toujours, oreille contre sol, paume contre terre, de ne rien entendre battre, de ne pas sentir de pouls. Pourtant, cette terre est la plus fertile qui soit. Rien ni personne, n’accélère la croissance des amours et des folies avec autant de sang froid.
Non, je ne perds pas le Nord, je perds le Sud, et c’est tant mieux. Le Sud est éphémère, le Nord du Nord, lui, est immuable. Depuis toujours, il capture les cœurs et les corps, il les faufile pour la vie. Depuis toujours souffle des émotions, restées indemnes sous le roc de l’Arctique.
Le Nord du Nord, me retourne complètement, moi qui ne crois ni à la paix, ni à l’enfer. Il me prouve qu’il y a encore des endroits où le temps, le trafic d’influences et de conneries, s’étouffent. Je l’aime, parce qu’il glace les imbéciles en leur prouvant que malgré les barrages à béton, les bases à soldats et les armes à secret, la nature est la plus forte. Je l’adore, parce qu’il les gèle de surprise, en leur montrant qu’à elle seule, la nature peut encore hypnotiser l’homme dans sa tête et dans son corps, le posséder pour de bon.
J’en suis certaine, le Nord du Nord est le plus grand bain d’eau chaude du continent. Pourtant, l’angoisse déteint parfois sur ma passion. La peur me prend, celle du silence à répétition. J’ai la frousse, en pensant qu’un jour peut-être, je ne pourrai, ou ne voudrai plus, sortir du bain. Je serais alors toute plissée à force de confort, plus montrable, plus sortable… Lorsque la peur me capture ainsi, je m’évade vers le Sud, en traînant sans m’en rendre compte, une rechute, un retour deux fois plus fort. C’est toujours à recommencer.
C’est vrai, j’aime le Nord du bout de mes forces, mais jamais je n’en serai dupe, jamais on ne me prendra à l’arpenter à la boussole, comme pour le défier. Je sens trop bien que c’est lui seul qui nous visite d’un bout à l’autre, sans qu’on bronche d’un poil.
C’est une vraie passion, donc un vrai piège, une passion toujours inassouvie, un piège de plus en plus à risque.
Rien n’est plus grisant qu’une fièvre, à moins quarante…