[Printemps 1989]
par Bianca Côté
Je me regarde écrire, les paupières prêtes pour le cruising prêt-à-porter. Tu me demandes mon nom, je te dis que j’ai oublié mes gants et ma valise en carton. Étonné, ton petit doigt caresse mes petites lèvres.
Je demande le chemin, tu me reconduis, il y a le mouvement crayon feutre de l’inconscient, la bible du motel. Tu permets? Je tire la chasse d’eau en croquant du gingembre. Tu ripostes «t’es drôle toi». Tu penses?
J’écris dans la lie du sexe, crie le désir d’obole soyeuse comme au dernier jour. Tu m’envois tes vibrations en condensé, mon ventre s’énerve. Bois mon sexe, fais la toupie en moi… Je mouille tellement que tu glisses dans l’outre-tombe, l’autre temps. Tu comptes les rêves de ton calendrier de roi-mage, j’écris sur un sofa-ventre, les ongles dans la bouche et toi dans ma peau. Posée partout, tes mains dérapent et réapprennent le profil des dieux. Je défais le nœud de ta cravate païenne. Râle et râle encore que je te dis, si ça peut te calmer. Il y aura une page de plus dans l’univers.
Le sommeil entre en toi, ton rêve ne le sait pas. Ma mémoire maladive ambulance jusqu’à toi. Overdose de cabine téléphonique, j’entre en phrase terminale, ne sais pas raccrocher. Je tourne les pages de l’annuaire, c’est gris. Je ne m’attache pas aux mots. J’aimerais trouver un livre amusant, tu sais, avec des dessins. Je copie la crispation des autres, attends que tu viennes me chercher pour je ne sais quoi d’heureux. C’est long. J’entame le léchage et ne m’en lasse pas. Tu sais le nacre chaud sous ta peau, Vénus sur la mienne. J’entrouvre les landes que tu voulais tant visiter, tu dis viens et je crie «te prendre encore», la lente terre de mon sexe est à un point tel…
Je pense à toi et j’ai le vertige. Un drôle de cirque, nous deux. Tu touches le centre sous le sexe. Les napperons échinés deviennent chapiteaux. Je recolle un livret d’instruction dans l’espoir dy boire des paroles vivantes. Je me sens morte. Mon corps surtout. A force d’ouvrir les lèvres et de t’y attendre, mon sexe se dissocie du reste. Et qu’est-ce que le reste… Une fin de page pour rien, un morceau d’étoile. Je ne peux pas m’habituer à voir mon univers en morceaux. Lorsque les positions du désir entre nous changent, que ça ne sait plus où se mettre, on peut alors parler d’une vie rêvée et même y croire, encore plus fragiles d’illusions que jadis… Tu te souviens? Nous ne sommes pas nés ensemble. Tu as connu la mer avant moi. Je m’essouffle à avoir l’air savante, usée, plus nostalgique que névralgique. Lorsque tu vas chercher mes racines, tu sais que ça sera long, tu viendras avant moi. Je veux le feu. Mon sexe bat plus vite qu’un cœur de chienne. Je serai aux premières loges, pièce de musique attentive à la rumeur, moiteur parlante, frémissante entre mille, rancune assez blanche pour perforer autrement les voix… Je voudrais établir une correspondance entre la peur et le chaud de toi.
Tu hésites? C’est parce que ce n’est pas assez atteint, tu tâtonnes. Pas arrivé au nœud de ton histoire? Il y a donc un nœud. Je t’en prie, laisse-moi t’aider à le défaire. J’ai toujours pensé ça, que la meilleure partie, c’est le cul. Toi et moi on a les mêmes idées. Viens je t’apprendrai tout… Je battrai tes blancs de mémoire. Déjà, je crie. Ton épaule sait que c’est de joie. Je ne crains plus les suicides, venez à moi mes hommes, j’ai deviné qui vous étiez: maman. J’aseptise l’oxalyde en riant. C’est mauve. Nous crachons. On dirait un asile tellement ça se nettoie difficilement. Je crie parce qu’on me demande de le faire. J’aime obéir, on me baise bien et il y a des couvertures pour mes bras allergiques aux taches de naissance.
Petite, je faisais semblant de pleurer pour imiter ma poupée et mes larmes se mettaient à couler pour vrai. La poupée s’arrêtait, figée. Un petit coin pour mes cuisses de gélatine, tu veux bien ? Non ? De grâce, enlève les pierres de la pinte de lait, je ne saurais te mouiller mieux. Je te promets de fuir même si je suis une figeuse d’instants. C’est la précarité qui m’intéresse, les vagues du dedans lorsque le désir rapproche de la veille. J’essaie mes genoux, et l’asphalte glisse d’ardeur. S’il-te-plaît, recommence je t’aime une autre fois. Je veux ton épaule. Veux-tu la mienne ? Je voudrais être en mesure de comprendre, m’halluciner de chants.
La première fois qu’on a osé m’ôter mes balbutiements, j’ai crié. L’homme m’a regardé avec rondeur. Je suis une hanche tranquille depuis. Je sais reconnaître les appels et risquer l’acquiescement. Ma couche se mouille pour tes visites du dimanche et devient lâche lorsque tes huiles essentielles quittent mes rivages. Je traverse les portes pour le plaisir des accrochages, me rouille le dedans avec des épingles de sûreté… Tu es le seul miroir déformant que je supporte.
Je martèle la fièvre, le ressac des âges, comme une relique des temps où je vivais pour et par toi. Qui, toi? Imagine comment c’est. Tisse l’absolu. Des milliers de petites échelles gravitent les marches de la jouissance. Entre par la moindre brèche-prétexte, la moindre ouverture-limpidité. Délivre-toi de l’emprise des lieux. Oublie les énergies habitables, réceptacles de nos délivrances avouées sur papier-filtre seulement. J’ai envie de d’autres allégeances. Tu n’es pas las de ces pièces sans nom, où il n’y a qu’une chandelle pour éclairer le dedans? Rayonner ou éblouir? Certaines démarches sont à entreprendre seule et à poursuivre à deux, d’autres à entreprendre à deux et à poursuivre seule, le long du parcours dit.
Les nuits sont fauves à souhait, parfaites pour la quête. Je voudrais lécher les lignes de tes mains, apprendre qui tu es. Enfant, tu laissais glisser ton missel sur le banc pour le rapporter chez toi, la messe terminée. Tu aimais l’odeur du cinéma mais oubliais l’histoire dès le milieu, tu détestais la géographie. Tu dessinais des paniers de pêches l’hiver, en faisais des cartes et y écrivais à peine ton nom. Tu avais trop hâte de jouer. Les indiens te fascinaient, leurs clans. Tu te déguisais en chef et t’arrangeais pour porter plus de plumes que les autres. Ton père tenait boutique. Les jours fériés, il t’amenait dans de vraies réserves et tu avais tellement peur que tu voulais retourner à l’école, même si c’était fermé. Tu t’asseyais contre un mur et lançais négligemment des roches sur la marelle. Lorsque le soir, tu retournais souper, seul, un peu après les autres, tu te sentais triste et ne finissais pas ton dessert, même si c’était des pêches. Tu dessinais sur ton oreiller. Et ce matin, je gage que tu t’en souviens encore. J’ai reçu des cartes de toi. Tu n’es pourtant pas en exil. Tout s’efface et pourtant, tu le sais, toi seul sait faire revenir les nuits. Je t’écris une dernière lettre, pour que le temps passé ensemble, le temps du désir, soit clair entre nous. Ça nous tenaillait, tu te souviens? On n’avait qu’à défaire les poignées de porte et se laisser glisser sur le tapis turc. La vie nous semblait facile et pas dérangeante, nous avions la nuit. Tu t’étendais sur le sofa, celui-là même qui connaissait mes histoires de balançoire. Nous confondions les après-midis … les après-midis se confondaient eux-mêmes. La limonade se versait automatiquement dans nos verres, nous les aurions échappés sinon. Nous tremblions tellement. La terre vagabondait, un rien la retenait. A l’intérieur, tout bougeait. Le ventre devenait l’essentiel. Rien n’aurait pu nous y soustraire. Pas même l’écriture. J’avais oublié jusqu’à l’odeur de l’encre. Le sperme glisse tout aussi bien. Je respecte les arrêts, les embrouillements ! Il fait si bon. Je trace des pointillés sur tes zones bien à toi. C’est comme ça qu’on termine une lettre, non ? Je n’ai plus le goût de commencer. Ce que je veux, c’est que tu viennes, ici, tout de suite. On regardera les tamias rayés et leurs menus grignotements par la fenêtre. Ouvre. Je n’ai pas pu attendre. Je t’ai apporté la carte sans mots avec l’enveloppe de la boutique. Tu n’as pas pris le temps de les regarder avant de sourire… Tu savais.