Qu’est-ce qui peut faire tenir ensemble et se croiser des univers aussi différents que ceux ici réunis, si ce n’est qu’ils abordent certains aspects de cette condition commune que façonne de plus en plus la mondialisation en cours ? L’ouverture actuelle des frontières, inaugurée par la chute du mur de Berlin et la réunion des deux Allemagnes – que Wim Wenders montrait en quelque sorte sous un jour réenchanté –, demeure pourtant une chose encore bien fragile, comme en témoignent les réactions à la vague de migrants affluant présentement en Europe et aux récents attentats de Paris. Force est de constater que ce qui s’internationalise d’abord et avant tout, ce sont les conditions pour la création de nouveaux marchés et de nouvelles classes de consommateurs partout sur la planète. Il n’empêche que cette ouverture relative des frontières nous rend de plus en plus curieux des réalités des autres et nous permet de constater les convergences croissantes que l’urbanisation planétaire impose dans nos modes de vie.
Near You No Cold, cette récente série d’œuvres réalisées par Raymonde April lors de multiples séjours à Mumbai, en Inde, témoigne à sa façon de ce fait : que, par-delà l’étrangeté et l’exotisme premier d’une culture aux fondements radicalement différents de la sienne, une artiste reconnue pour sa sensibilité à ses proches et à la poésie du quotidien peut trouver, dans un lieu et chez des gens au premier abord inconnus, suffisamment d’humanité commune pour y inscrire tout naturellement sa quête de moments et de rencontres qui transcendent la banalité des jours.
La série The Future is Ours, Classroom Portraits, de Julian Germain, s’attache quant à elle à une autre dimension de notre universalité, celle de la formation des jeunes générations et de la transmission des savoirs. En réalisant des portraits d’élèves rassemblés dans des salles de classe de tous les continents, Germain se trouve à condenser en une même unité de lieu toutes les similitudes et toutes les variations des modes de formation. La classe, déclinée sous toutes ses formes, devient ce lieu où les aspirations à l’universalité moderne se confrontent aux valeurs et aux moyens spécifiques de chaque culture.
Les Carpoolers d’Alejandro Cartagena montrent une facette d’une réalité commune à beaucoup de gens, celle du fardeau que représentent les déplacements quotidiens pour aller au travail dans des villes en expansion constante. Ses photographies se présentent un peu comme des portraits en pied de travailleurs manuels, faisant matin et soir l’aller-retour entre leur banlieue et leur lieu de travail, allongés dans des bennes de camionnettes. Ce covoiturage, illégal en raison de ses dangers, de son inconfort, de l’exposition aux éléments, est une pratique journalière pour nombre de travailleurs faisant ainsi des déplacements de plusieurs heures tout au long de l’année.
Jacques Doyon