Cette nature qui est notre monde

[Printemps/Été 2016]

Il y a des endroits où la présence de la nature se fait plus vivement sentir, des lieux où la question des interrelations entre la ville et son environnement naturel émerge plus spontanément. Certaines circonstances sont également propices à susciter de telles réflexions : le dépaysement entraîné par un séjour à l’étranger, la nette détérioration de l’équilibre ou de la beauté d’un site, les pressions exercées pour l’appropriation d’un lieu public à des fins privées…

Fruit d’une résidence dans une petite localité d’Islande, January de Jessica Auer rend compte d’une expérience toute particulière de la lumière hivernale dans un environnement montagneux. Des éclats blancs de la neige à la variété des bleus (ceux du ciel clair jusqu’aux lueurs de la nuit, en passant par les demi-teintes des jours sans soleil), des reflets on-doyants sur une eau sombre au soleil éclatant sur les hautes parois des montagnes, les images sont lumineuses. Nous sommes dans l’expérience de la perception : l’appréhension de ce que la photographie peut capter de la lumière d’un lieu plongé dans la pénombre des montagnes et dans le froid bleu de l’hiver.

Avec Mon boisé, Geneviève Chevalier met en scène deux perspectives contradictoires sur un petit bois urbain faisant soudainement l’objet d’un projet de développement immobilier. L’installation met en contraste les images d’une nature préservée ou aménagée pour le bien public (vidéo sur le phénomène de la « timidité des arbres » ; montage photographique de parcs, jardins et cimetières urbains) avec des documents montrant l’appropriation à des fins privées de tels lieux de nature (immeubles en construction au sein de boisés centenaires et dépliants promotionnels pour la vente immobilière). Une façon de contribuer au débat sur la préservation des quelques boisés urbains existants et leur accès public.

Résultat elle aussi d’une résidence, la série de soixante-dix images d’Isabelle Hayeur, Desert Shores (L’Amérique perdue), fait le portrait d’une désolation, celle d’une petite région de la Californie, Salton Sea, qui fut jadis un lieu de villégiature réputé. Situé aux abords d’un lac dont la salinité est devenue supérieure à celle du Pacifique en raison de la pollution agricole et de la négligence, ce lieu est maintenant déserté, ensablé, desséché. Avec leurs contre-jours crus et des couleurs grises, les images sont dures et sans apprêt. Elles montrent les maisons abandonnées et saccagées, les fenêtres fracassées, les graffitis dénonciateurs et rageurs, et le sable partout, avec, de loin en loin, les quelques signes de vie d’une population sinistrée.

L’intérêt de ces travaux réside entre autres dans le fait qu’ils reposent sur la conception d’une nature qui est non pas un donné en soi qui serait à préserver intégralement, mais bien plutôt une composante de notre « condition écologique », une composante d’un monde que nous façonnons et qui nous conditionne en retour.

Jacques Doyon

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