[Automne 2016]
Les œuvres de ce dossier explorent des réalités qui se situent aux antipodes les unes des autres – la chasse aux phoques, la marginalité sociale et la représentation de la femme – et qui appartiennent à des époques distinctes. Ces œuvres se rejoignent tout de même dans leur remise en question des préjugés et des modes de pensée dominants. De fait, chacune se propose de portraiturer les gens dans leur milieu de vie et de montrer ce qui, à certaines époques, n’a pas droit de cité et ne devrait donc pas être vu.
Pour Yoanis Menge, il s’agit de modifier la perception négative que suscite la chasse aux phoques aux Îles de la Madeleine, au Nunavut et à Terre-Neuve. Pour pouvoir capter ses images faites de plans rapprochés, d’imposants panoramiques et d’intenses noirs et blancs, Menge se fait lui-même chasseur. Cela lui permet de nous amener sur les glaces à la dérive, sur les ponts ou dans les soutes des bateaux, et de nous plonger au cœur d’une activité qui est un mode de vie pour les populations qui la pratiquent. Les hauts contrastes subliment le rouge du sang et font sentir toute la difficulté du travail et la force imposante des éléments naturels.
Le Musée des beaux-arts de l’Ontario présentait récemment une exposition mettant en valeur des pratiques photographiques et filmiques de l’après-guerre aux États-Unis qui s’attachent à des modes de vie et à des « sujets » mis au ban de la société. Les Diane Arbus, Garry Winogrand, Nan Goldin et autres apportent une contribution significative à la remise en question des conventions dans l’ordre de la représentation photographique. Les modes de vie marginaux, liés à la sexualité, à la contre-culture, à la drogue et même à la folie, sortent alors de l’ombre et fondent progressivement les bases d’une politique alternative qui transforme radicalement la culture dominante.
Avec ses « belles de jour », Marisa Portolese explore depuis un moment déjà les enjeux de la représentation des femmes en se jouant des stéréotypes et en offrant l’image d’une affirmation tranquille de soi, faite d’intériorité et de sensualité. Le dernier volet de sa série, fondé sur une relecture de l’univers de William Notman, décortique les conventions du portrait de femmes à l’époque victorienne. Portolese reprend les poses et certaines mises en contexte et introduit de menues variations dans les vêtements et dans les expressions afin de transformer radicalement l’image que les femmes projettent d’elles-mêmes.
Tous ces portraits mettent en œuvre une autre façon d’appréhender les choses, d’autres valeurs. Les modes de fabrication de l’image ne sont pas tant réinventés que déconstruits, tenus loin d’une composition trop prévisible qui « façonnerait » le sujet photographié. Ici, le sujet représenté déborde : dans le mouvement de la caméra, dans la spontanéité des prises de vues, dans les détails et dans le naturel des poses. Tout y fait sens pour interpeller nos façons de voir.
Jacques Doyon