Pauline Boudry et Renate Lorenz – Milly-Alexandra Dery et Laurence Garneau

[Automne 2017]

Everybody talks about the weather… We don’t
Participant Inc., New York
Du 2 juin au 16 juillet 2017

Par Milly-Alexandra Dery et Laurence Garneau

En 2017, le travail du duo d’artistes berlinoises Pauline Boudry et Renate Lorenz aura été présenté dans cinq institutions artistiques américaines dans le cadre d’une exposition itinérante. Le centre d’exposition new-yorkais Participant Inc. s’inscrit dans cette chaîne de diffusion exposant une pratique artistique engagée qui s’active en résonance avec le contexte politique actuel.

Everybody talks about the weather… We don’t1 nous accueille dans une salle sombre dotée d’objets hétéroclites et c’est au gré de ces installations que nous cheminons vers une œuvre vidéo qui contamine déjà toute la pièce de ses effets sonores. Un mur suspendu de cheveux blonds et noirs fait office de rideau, des micros sur un socle rotatif éclairés par un projecteur créent un théâtre d’ombres, un socle de muséologie sur lequel est projetée la vidéo divise la pièce et de gigantesques menottes juchent l’œuvre phare de l’exposition, Telepathic Improvisations (2016).

Située tout au fond de la salle, l’œuvre est une performance filmée et une référence directe à la pièce Telepathic Improvisations écrite en 1974 par Pauline Oliveros, compositrice féministe reconnue pour sa musique minimaliste d’avant-garde. La vidéo de Boudry et Lorenz a lieu dans un espace scénique où quatre artistes de la performance, Marwa Arsianos, Werner Hirsch, Ginger Brooks Takahashi et MPA, exécutent des gestes machinaux et illogiques avec les objets du décor, en synchrone ou individuellement. L’œuvre s’amorce avec un monologue : Arsianos invite le public à faire usage de la télépathie afin de communiquer et de contrôler les objets ou les corps performeurs figurant dans la vidéo. La fiction engagée par ce discours introductif impliquant un pouvoir surréel ou une technologie de demain ouvre un espace interstellaire et donne lieu à une intrigue : est-ce l’humain qui contrôle son environnement ou l’objet qui dicte les mouvements performés ? Les gestes semblent commandés par un paradigme de cause à effet, où la dynamique de pouvoir entre l’humain et l’inanimé est instable. Une tension entre la volonté d’agir et l’impossibilité d’intervenir est visible, ressentie.

Bien qu’elle ait été invitée à ironiquement participer mentalement à la mise en forme du déroulement, la personne qui regarde est passive, assise devant l’écran et, telle une voyeuse, elle scrute et s’interroge sur la nature des mouvements répétés, amplifiés et déshumanisés. Façonnée d’actions et d’expressions d’une neutralité robotique, la singulière chorégraphie combinée à l’ambiguïté du genre des protagonistes évoque une post-identité suggérant un futur alternatif. La citation d’œuvres antérieures est au cœur de la pratique artistique de Boudry et Lorenz, à travers leurs performances-installations « [e]lles présentent des corps qui sont en mesure, non seulement de traverser les époques, mais aussi de tisser des liens entre ces différentes époques, laissant présager ainsi la possibilité d’un futur queer2 ».

Le monologue concluant la vidéo qui appelle à la résistance et à la révolte contre les autorités politiques confirme la valeur engagée présente dans des gestes pourtant anodins. À la manière d’un manifeste politique, MPA déclame un texte qui incite à bannir la passivité et à mettre en action sa révolte. Elle lance un antidote à l’hypocrisie ambiante en requérant une transformation des protestations verbales en gestes physiques violents. La description fantasmée d’actions symboliques – brûler les autos, construire des barrières, exproprier le président – mène au constat que les événements qui sont déjà arrivés se produiront de nouveau. L’appel à la mobilisation depuis un monde « autre » se négocie sur la frontière entre utopie et dystopie.

Il y a un aller-retour entre ce qui appartient au monde de la représentation, la vidéo et ce qui est de l’ordre du réel, les installations. Les jeux de lumière, les effets de fumée et les plans de caméra dramatiques créent une mise à distance et renforcent la dimension théâtrale de la vidéo. Les menottes, les socles, les costumes et les instruments de musique qui apparaissent dans l’image en mouvement font écho aux artéfacts qui constituent les œuvres physiques de la salle. L’opacité des matériaux qui forment l’impénétrable et dérangeant rideau de cheveux, ou encore la mise en échec des micros rendant impossible toute forme de communication, indiquent l’inefficacité de la parole et signalent un manque de transparence des actions menées par les corps politiques dans un contexte mondial où les violences sociales ne font que s’amplifier. La théâtralité et la fiction inhérentes aux oeuvres de l’exposition s’arriment aux illusions qui orchestrent les instances politiques contemporaines, qui en réalité ne font peut-être que discuter de la température…

1 L’exposition est organisée par Alhena Katsof et Mason Leaver-Yap.
2 Citation tirée du site internet des artistes Pauline Boudry et Renate Lorenz. https://www.boudry-lorenz.de/biography/ [Notre traduction.]

 

Titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art, Milly-Alexandra Dery est engagée dans divers projets touchant à la recherche et à la pratique commissariale. Elle s’intéresse aux croisements entre l’art actuel, les sciences humaines et la nature dans les pratiques contemporaines.

Laurence Garneau, étudiante au doctorat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, s’intéresse aux enjeux historiographiques de la discipline. Elle travaille également comme médiatrice culturelle au Musée d’art contemporain de Montréal.

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