Serge Tousignant – Christian Roy

[Automne 2017]

Exposés de recherche
VOX, Centre de l’image contemporaine
Du 13 avril au 23 juin 2017

Par Christian Roy

Dans le cadre d’un projet sur l’histoire des expositions au Québec que VOX mènera jusqu’en 2020, les commissaires Marie-Josée Jean et Claudine Roger ont conçu une rétrospective de Serge Tousignant en tant qu’« artiste-chercheur » interdisciplinaire, revisitant ses contributions aux expositions nord-américaines marquantes qui ont scandé sa carrière.

Dès ses débuts en arts plastiques, sa démarche s’est signalée par un investissement scénographique de l’espace d’exposition. Ainsi, pour son geste inaugural à la manifestation Présence des jeunes (1966) au Musée d’art contemporain (MAC) (alors situé au Château Dufresne), il fit repeindre une salle entière (comme ici une pièce de VOX) dans un des tons de son unique palette, pour y installer la toile en losange Foggy (Trame bleue), faisant sien le cadre de sa monstration institutionnelle. Depuis les bordures soulignées au ruban du tableau Lac Clair (1960) de Michael Snow, cette mise en évidence et en question du cadre était certes caractéristique de l’avant-garde canadienne. Elle se poursuit ici, selon une trajectoire comparable, jusqu’au-delà du mur de la salle consacrée à Perspective 67 (AGO) et aux Sculptures & papiers pliés (1968, Galerie Godard Lefort) à travers le miroir d’Extension, redoublant la longueur d’un parallélépipède noir et blanc à la Buren, comme plus loin à même le sol celui qui complète de l’intérieur l’orbe hémisphérique d’une Bulle stéréoscopique en plexiglas strié de bandes peintes, marquant son volume tant réel que virtuel.

C’est déjà la ligne des Dessins-photos 1970-1974 exposés au MAC début 1975, qui trace au ruban des cubes convexes dans les coins concaves d’un plafond d’atelier, illusion d’optique que viennent troubler des moulures dans ces premières œuvres photographiques de Tousignant. Elles déploient l’ambiguïté de ses pliages entre aplats bidimensionnels et suggestion d’espace virtuel dans un espace réel, problématique transversale des arts visuels, comme le montrait déjà l’installation Hommage à Magritte dans l’exposition Périphéries un an plus tôt au MAC, panorama de l’art post-conceptuel par les artistes de Véhicule Art, cofondé par Tousignant. Les commissaires consacrent une exposition parallèle (Créer à rebours vers l’exposition : le cas de Périphéries) à cette manifestation controversée en son temps, mais sur laquelle le MAC renchérit avec Québec 75, où Tousignant intégra l’appareil photographique dans la mise en scène magrittine de Laissez faire les sphères. « REGARDEZ À L’INTÉRIEUR », enjoint un écriteau, mais sa visée ne montre qu’une diapositive de la salle jonchée de « grelots » bleus de différentes tailles, représentation trompant d’avance l’attente d’un accès privilégié par le médium à cette réalité qui s’offre déjà à nous dans toutes les dimensions de l’espace.

Celles-ci se prêtent pourtant aux Géométrisations (Optica, 1979) en figures élémentaires d’ombres agencées sur le sable avec des bâtons, révélant le médium photographique comme mise en scène construite de l’espace-temps à même l’agencement d’éléments donnés qu’est déjà son instrument. Il n’y a qu’un pas dans l’autre sens (de la nature à l’intérieur composé) vers les « tableaux photographiques » de Cycles récents et autres indices (MAC, 1986), dont une Nature morte aux œuvres d’art antérieure de Tousignant, emblématique pièce maîtresse de son Parcours photographique tel que présenté par le Musée canadien de la photographie contemporaine, en tournée de 1992 à 1996. C’est qu’on a pu voir en Tousignant un pionnier du nouveau genre photographique de l’« image préfabriquée » à partir de maquettes ou d’installations en atelier, si bien qu’il figurait (avec Holly King notamment) parmi les dix-neuf artistes du monde entier représentés dans l’exposition Constructed Spaces que lui consacra le Photographic Resource Center de l’Université de Boston en 1990.

Une dernière salle répercute l’exposition itinérante Maquettes d’atelier produite par la Galerie Séquence de Chicoutimi en 1992, documentant nombre de projets réalisés ou non, souvent autosuffisants. Car, comme l’écrivit Sylvain Campeau à l’époque, « ce qui retient l’attention de Tousignant n’est ni la peinture, ni la sculpture, ni la photographie, mais bien plutôt ce que les unes et les autres offrent spécifiquement comme illusion du voir au spectateur. Il cherche à représenter les conditions mêmes du fait de voir quelque chose. […] Ce à quoi se consacre ainsi Tousignant est du ressort de l’immatériel.1 » Ce déclic de « pièges pour l’œil » retentit encore dans True Blue (oeuvre bleue) de 2012, confrontant trois itérations d’un rectangle de cette couleur : cache et écrans d’ordinateurs sur deux photos noir et blanc de lieux d’exposition, mais aussi le creux d’un cartonnage blanc sous acétate teinté, en un saisissant raccourci d’un demi-siècle de recherche visuelle sur les chassés-croisés de l’espace et de la virtualité, de l’abstraction et de la matérialité, comme enjeux de l’art que Serge Tousignant sut mettre en lumière et en scène avec ou sans caméra.

1 Sylvain Campeau, « L’ombre, la chose et son nom : Serge Tousignant », Chambres obscures. Photographies et installation, Laval, Éditions TROIS, 1995, p. 74.

 

Christian Roy, historien de la culture (Ph. D. McGill, 1993), traducteur, critique d’art et de cinéma, est l’auteur de Traditional Festivals: A Multicultural Encyclopedia (ABC-Clio, 2005), ainsi que de nombreux articles scientifiques. Collaborateur régulier des magazines Vice Versa (1983-1997, http://viceversaonline.ca/) et Vie des Arts (2010-), il a aussi publié dans Ciel variable, Esse et ETC. Il est membre du conseil d’administration de l’Espace Cercle Carré dans le Vieux-Montréal.

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