[Automne 2017]
Par Jacques Doyon
Les travaux réunis ici sous la thématique de la ruine s’attachent à capter les traces d’un monde en train de disparaître, un monde où la mutation de l’image photographique s’inscrit dans une transformation plus fondamentale qui affecte l’ensemble de la culture et des valeurs de nos sociétés. La ruine, c’est ce qui reste après l’obsolescence des technologies, l’usure des modes de représentation et l’essoufflement des régimes politiques. C›est ce qui survit sous forme d’artefacts et de traces, de traumatismes et d’affects, et peut être réactivé pour lire autrement le passé et mieux comprendre notre présent.
Le projet de Michel Campeau, The Donkey that became a Zebra : histoires de chambre noire, origine du désir de préserver la mémoire des rituels, des lieux, des objets associés à la photographique argentique. S’y rencontrent les restes d’un monde où la fabrication et la lecture des images reposaient sur un lien plus immédiat à la réalité, sur une croyance plus forte dans la véracité de la représentation. Ces artefacts sont les ruines d’un autre ordre de l’image. Campeau en réactive le souvenir en suggérant des histoires, rattachées aux laboratoires photographiques ou à la lecture des images, qui comportent leur part d’affects. Mais l’image n’est pas la réalité pour autant et l’âne n’est pas un zèbre.
Résultant de plusieurs séjours à Cuba, la série Fin de siglo, d’André Barrette, s’attache à montrer des lieux, des objets et même des images qui composent l’environnement quotidien des Cubains. Tous ces éléments, modestes, usés, un peu en ruines, reflètent l’état du régime politique dont les espoirs utopiques n’ont pu tenir devant les pressions du marché. À l’image de ce grand magasin de la Havane, Fin de Siglo (Fin de siècle), créé au temps de Batista et qui n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même. En ce début de nouveau siècle, toujours pas de publicité dans les rues cubaines, que des icônes et représentations politiques, et quelques rares expressions d’initiatives privées.
Les trois séries d’images que Joan Fontcuberta a réunies sous le titre de Trauma s’offrent comme l’allégorie de la fin d’une époque : elles traquent à même l’image photographique les traces de sa dissolution, elles auscultent ses limites physiques et chimiques, elles examinent la frontière de sa capacité de représentation. Comme toujours, Fontcuberta inscrit ses explorations formelles et cognitives dans une trame narrative, souvent teintée d’ironie : grain d’une image tirée du film Blow-Up qui éclate dans l’abstraction numérique des pixels, images d’oeuvres d’art dévorées par les escargots, dégénérescence des révélateurs et fixateurs de l’image qui la transforme en pure abstraction. Fontcuberta propose ainsi des images qui portent sur les images, en accord avec le principe qu’il a lui-même exprimé sur l’inutilité de créer de nouvelles images et la nécessité de faire travailler la multitude des images existantes.