Katia Gosselin, Espaces périphériques – Michaël Lachance

[Hiver 2018]

Espaces périphériques
Centre VU, Québec
Du 8 septembre au 15 octobre 2017

Par Michaël Lachance

L’installation est intimisme, la pièce exiguë force la rencontre de ces « espaces périphériques ». La disposition des photos épinglées au mur, sans cadre, est certes conservatrice, mais pas banale. Le lieu se prête agréablement bien au travail de l’artiste. Les agencements alignés aux murs convainquent. Un foyer ancestral occupe la salle, sans ironiquement ajouter de chaleur à l’atmosphère cloisonnée ; il sert plutôt de prétexte, dans sa prétention, à évoquer des repères familiaux. Tout se joue en contraste et le commissariat chez VU utilise à souhait le jeu de mise en abyme pour projeter, de manière austère, une rencontre frontale avec le travail de la photographe. On entre dans l’antre comme prisonnier et actant d’une mise en scène destinée à cadrer le récepteur au centre de la proposition. Par le fait même, le lieu participe du thème des photographies, car il englobe l’événement autour et limitrophe d’un centre focalisé, non sans intérêt : nous. Il s’agit bien d’une illustration de tout ce qui échappe au regard ; ce regard concentré sur des repères réconfortants, sans risque ni péril. L’audace repose ici dans cet ensemble mis en cage pour contraindre le spectateur à voir au-delà des clichés.

Si l’accrochage répond aux canons classiques de la muséologie, l’alignement rectiligne, à hauteur de regard, dans un huis clos imposé par la thématique et par l’espace, c’est parce que le mariage entre les deux protagonistes ne peut pas convoler autrement.

Tout se passe au-dehors du sujet chez Katia Gosselin. Plutôt, elle l’envoie valser hors champ. Bien qu’ici on perçoive un tronc humain, des mains cassées ou quelques objets plus ou moins narratifs – du moins cohérents dans la représentation –, c’est la périphérie tronquée qui éveille le regard. De fait, elle détourne, évite et envahit aisément nos yeux d’une autre mythologie située ailleurs et sans pudeur. L’artiste représente des sujets-objets engoncés dans des non-lieux reclus qu’elle découpe exprès pour montrer le visage de la lumière ; là-bas, quelque part, à inventer par soi-même. Il s’agit d’une illustration savamment iconifiée de territoires austères, anxiogènes et, parfois fantasmagoriques.

On voit des boules dans une branche comme des lunes dédoublées dans un univers parallèle. C’est cet univers qu’on veut démystifier. Sans abus de procédé, de censure ou encore de lieux communs malvenus, Katia Gosselin sait manier ses instruments et l’objectif est calculé. Si les atmosphères chez elle sont parfois sensibles, hallucinées et théâtrales, jamais elle ne surenchérit pour ajouter, pour enseigner, pour expliquer… Bref, son travail remarquable ne manque pas d’audace. Pour le saisir, il faut voir plus loin que ce chien pétrifié au bout de la nuit.

Le monde spleenétique de l’artiste semble droit sorti de l’imagerie austère d’un David Lynch : on pense à Lost Highways, notamment. Ses univers singuliers ne sont pourtant pas ourdis par des mises en scène élaborées. Tout s’organise dans un espace momentané, saisi par des cadrages resserrés avec son petit appareil A35F de Canon. Les sujets, sans occuper la planéité entière de la surface photographique, dominent par une présence insistante. La distance intimiste produite par les effets des gros plans multiplie la tension avec l’objet.

Dans cette série d’images, la cohésion formelle surprend, sans doute parce que les photos suggèrent une contention soutenue par un travail obsessif afin de maintenir cet équilibre fragile entre le réel et l’irréel. On ressent, dans cette délicate attention pour un motif vestimentaire en coton ou pour celui d’un gant en latex, une volonté d’investigation excessive et, surtout, cohésive. Comme autant d’éléments de preuves étudiés, chaque serrement – surtout horizontal – de cadre, renforce la proposition et pousse à la retraite de l’image. Ce recul nécessaire permet, justement, d’imaginer le produit d’ensemble expressément censuré pour repousser les frontières de ce monde invisible. Cette même tension n’a pourtant pas les ressorts d’un drame ou d’une partition glauque inachevée. Elle capte la lumière jusqu’aux limites qu’impose la noirceur.

De cette manière, à tâtons, on va et on vient dans l’image et en-dehors, car, de fait, c’est dans l’incomplétude que l’intention de Katia Gosselin se révèle. Elle étudie à la manière d’un coroner, écartant les pistes inutiles pour présenter des pièces de conviction.

Michaël Lachance, critique d’art et essayiste, vit et travaille à Québec. Essayiste d’art actuel, il collabore régulièrement avec des revues d’art européennes et nord-américaines. Doctorant en histoire de l’art de l’Université Laval, il travaille présentement à la publication de deux ouvrages théoriques, à paraître au Canada en 2018 et en 2020. Par ailleurs, Michaël Lachance écrit de la poésie et des nouvelles.

[Numéro complet disponible ici : Ciel variable 108 – SORTIE PUBLIQUE]

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