Rencontre photographique du Kamouraska – Mona Hakim

[Hiver 2018]

 

Les traversées
du 16 juin au 4 septembre 2017

Par Mona Hakim

Pour sa 9e édition, la « Rencontre photographique du Kamouraska » a fait appel pour une deuxième année consécutive au commissariat de Franck Michel. Le choix du thème actuel, Les traversées, prolonge tout naturellement les réflexions du commissaire sur les Géographies de la lenteur développées lors de l’édition précédente, paradigmes complices et féconds au sein du vaste (et persistant) concept qu’est celui du paysage. Une 9e édition particulièrement réussie, tant au niveau d’une cohérence dans le choix des sept photographes réunis – Sara A. Tremblay, Jessica Auer, Baptiste Grison, Michel Huneault, Louis Perreault, Normand Rajotte et Martin Schop – que dans une adéquation très juste entre leurs oeuvres et la thématique retenue.

Les traversées entre certes en résonance avec une exploration temporelle et sensorielle inhérente au paysage, telle qu’abordée avec La lenteur. Or cette fois, en évoquant « le cheminement pédestre comme mode de compréhension du paysage » qu’entérinent chacun à leur manière tous les exposants, l’événement photographique gagne ici en cohésion et facilite une meilleure compréhension des enjeux soulevés par le thème initial. En ce sens, l’idée même de déplacement qui infiltre les oeuvres s’incarne à travers un engagement tangible envers le paysage de la part des sept photographes. Un engagement soutenu par des expériences personnelles où le paysage devient tantôt un lieu de rencontre avec soi et avec l’autre, tantôt un espace d’endurance physique et mental qu’impose l’aventure en solitaire lors de la longue et lente déambulation.

Comme le veut la formule usuelle, les oeuvres de ce stimulant événement régional sont partagées entre le Centre d’art de Kamouraska et le parcours extérieur de neuf municipalités de la région. L’installation photographique de Sara A. Tremblay, constituée de trois immenses photographies suspendues dans l’espace, nous happe dès l’entrée. Sentier, chute d’eau et arbre imposant sont prélevés à même la densité de la forêt et la qualité atmosphérique de la lumière lors d’un périple de sept semaines à pied dans un secteur du parc Forillon. Au verso, des clichés de plus petites dimensions sont comme les pages ouvertes de son journal de bord. La verticalité des oeuvres s’est imposée à elle, comme une façon d’illustrer la gamme des sensations vécues dans cette nature mouvante et majestueuse où cohabitent équilibre et instabilité. Son dispositif de présentation est à cet effet fort convaincant.

Dans la salle voisine, Normand Rajotte offre une tout autre lecture du paysage en mutation. À l’affut des signes de changement du milieu naturel, Rajotte arpente patiemment, et depuis longtemps, un territoire boisé près du mont Mégantic. Dans son projet Le Chantier, il scrute avec une observation exacerbée les traces laissées par l’activité des castors sur le site. Habitué à se déplacer en solitaire l’oeil rivé au sol, il a cette fois redressé le viseur de son appareil photo tout en préservant le plan rapproché qui caractérise si bien son oeuvre. Il en résulte une visibilité accrue des formes, une impression d’entrer dans la substance des choses et une conscience aiguë de la fusion entre soi et la nature.

Attirée par l’histoire et notamment par les implications culturelles sur le paysage, Jessica Auer tente d’apprivoiser le temps en se déplaçant à pied pendant de longues périodes sur de vastes territoires éloignés et souvent arides. Son projet exploratoire January, réalisé en Islande lors d’un séjour de plusieurs mois, fascine par la blancheur des paysages à la fois austères et poétiques. Auer s’est laissée littéralement transporter par les mouvements de la lumière bleutée typique à l’Islande et d’où émane ce blanc irradiant. Une lumière qu’elle a si habilement captée et dont elle a su transmettre la magie dans des images presque surréelles.

Non loin, et dans une tout autre atmosphère, la série « Volcàn » de Louis Perreault raconte une page de son périple familial de plusieurs mois dans les terres du Mexique et de l’Amérique centrale. Son récit nous entraîne de la mer aux montagnes, de village en village, dans une ambiance ténébreuse portée par des ombres épaisses des teintes terreuses et par le regard taciturne et poignant d’un jeune habitant de la région. Ici l’allégorie d’une terre volcanique nous plonge dans les tremblements du paysage et dans une sorte de voyage initiatique où coexistent avec sensibilité le visible et l’invisible.

Pour sa part, Michel Huneault a sillonné pendant plusieurs semaines les sites dévastés de la région de Tohoku et capté les cicatrices laissées par la triple catastrophe qu’a subie le Japon en 2012. Retourné sur les lieux quatre plus tard, c’est avec une grande sobriété que ses images silencieuses et éloquentes – des habitations affaissées jusqu’aux aires réaménagées – témoignent de la lente régénération du territoire et de ses habitants.

Alors que des projets de Huneault, Auer et Rajotte se poursuivent sur le parcours extérieur, seuls ceux de Baptiste Grison et Martin Schop sont uniquement visibles au-dehors. Avec des images plus contenues, Baptiste Grison a cherché à raviver les failles de l’histoire en prélevant, lors d’une exploration en forêt, les étranges vestiges d’une réserve amérindienne existante, mais inhabitée et oubliée (Barricades mystérieuses). Dans La lettre à Julien, il part également sur les traces toponymiques de l’îlot Julien, un rocher près des berges dont l’origine du nom a été oubliée. Ce sont les visages de gens croisés sur son chemin qui suppléeront aux réponses irrésolues de son enquête.

Muni d’un sténopé grand format, Martin Shop s’aventure à son tour en solitaire sur la Pacific Trail le long de la côte ouest. Que ce soit par cet appareil d’une autre époque et son lent processus, la teinte sépia des images, le caractère rocailleux ou brumeux des paysages, de même que sa propre présence en communion avec la nature ou faisant corps avec son appareil, Le sentier informe est peut-être le projet où la notion de temporalité qu’implique la traversée est la plus explicite. Ce journal intime à saveur mystique est la belle découverte de l’événement.

L’expérience du paysage passe aussi par le visiteur qui profite du privilège de découvrir des oeuvres nichées en zones boisées. Or, ici, les parcours extérieurs, il est vrai, pourraient être plus fluides. Pas toujours facile de repérer l’emplacement des oeuvres alors que de meilleurs outils de localisation pallieraient aisément ces lacunes. Quant au dispositif de présentation, très homogène, il gagnerait très certainement à être plus diversifié.

Quoi qu’il en soit, il faut retenir de ces sept traversées la belle corrélation entre la manifestation d’une odyssée intérieure et le témoignage des transformations naturelles, culturelles et sociales de notre environnement. En cela, elles entretiennent une adéquation significative et éclairante entre l’approche phénoménologique et la valeur de document des projets mis en oeuvre. Et c’est bien là tout l’intérêt de cette édition. Jour après jour, les déplacements de ces néo-explorateurs soudés à leur appareil photo ont façonné le paysage, témoigné de ses mutations et de ses impacts sur la conscience humaine comme sur les affects. Leur récit visuel est à l’image de ce cadreur d’espace-temps qu’est le médium photographique.

Mona Hakim est historienne de l’art, critique et commissaire indépendante. Ses recherches portent sur les pratiques photographiques contemporaines. Auteure, elle a rédigé de très nombreux textes critiques. À titre de commissaire, elle a réalisé plus d’une vingtaine d’expositions, dont la plus récente, Documenter, raconter, mentir (en co-commissariat), présentée au Mexique, trace un portrait de la photographie québécoise des quinze dernières années. Elle a également enseigné l’histoire de l’art et de la photographie au collégial de 1996 à 2015.

 

[Numéro complet disponible ici : Ciel variable 108 – SORTIE PUBLIQUE]

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