Malick Sidibé, Mali Twist – Érika Nimis

[Printemps-été 2018]

Fondation Cartier, Paris
Du 20 octobre 2017 au 25 février 2018

Par Érika Nimis

« Mali Twist1 » est le titre de la rétrospective que la Fondation Cartier2 vient de consacrer au portraitiste Malick Sidibé (décédé en avril 2016), récipiendaire de prestigieux prix parmi lesquels un Lion d’or3 à la 52e Biennale d’art contemporain de Venise en 2007. « Mali Twist » présente d’emblée Sidibé comme le photographe du mouvement, de la jeunesse et de la « dolce vita africana4 », pour reprendre le titre du documentaire qui clôt cette exposition « ambiancée » de bout en bout par une bande-son concoctée pour l’occasion, inspirée des styles musicaux plébiscités par la jeunesse qui fréquentait les « clubs » à Bamako dans les années 1960–1970.

Le visiteur, à qui est remis à l’entrée un livret d’exposition aux tonalités acidulées, commence son parcours par quelques repères biographiques agrémentés de photographies tirées des archives personnelles du photographe. En passant, on y apprend que, repéré pour ses talents de dessinateur dans les années 1950, Malick Sidibé (né en 1935) a été soutenu par l’administration coloniale, qu’il détient un diplôme d’artisan-bijoutier et qu’en 1955, un photographe français l’embauche dans son studio et lui propose de devenir son apprenti.Sa carrière de photographe commercial est alors lancée. Dans cette première partie introductive, le regard du visiteur est d’emblée capté par un pan de mur couvert de tirages encadrés aux formats variés : des portraits pris au « Studio Malick » qui a été reconstitué pour l’occasion, avec son décor à rayures et damier noir et blanc et des accessoires à la disposition du public désireux de se faire prendre en photo5. Toujours dans la première salle sont exposées la sculpture en bois peint d’un Rolleiflex (de deux mètres de haut) de l’artiste ghanéen Paa Joe, commande spéciale de la Fondation Cartier pour l’exposition, de même que deux grandes toiles festives et colorées du peintre congolais JP Mika, qui représentent des personnes prenant la pose dans un studio photo.

La seconde partie de l’exposition, principalement dédiée aux « chemises6 » de Malick Sidibé, permet de mieux saisir la façon dont le photographe travaillait. Dans ces « chemises » de différentes couleurs sont en effet archivés les tirages de lecture des surprises-parties que le photographe a couvertes, avec ses apprentis7, dans un Bamako gagné par les modes musicales des années 1960–1970, du yéyé à la soul, en passant par le rock et les rythmes afro-cubains. Dans cette section est présentée l’une des 100 photos les plus influentes de l’Histoire, selon le magazine américain Time, étrangement intitulée « Nuit de Noël (Happy Club) », alors qu’il s’agit en réalité, comme l’indique la légende associée à la chemise dont elle est issue, d’une soirée dansante organisée par le club des « Happy Boys » dans le quartier de Missira à Bamako, la veille du ramadan, le 25 février 1963.

Au sous-sol, dans une scénographie plus sobre, mais toujours pensée pour briser la monotonie répétitive des portraits de studio, mêlant une variété de formats et d’accrochages, de tirages argentiques vintages et modernes, se retrouve le plus gros de l’exposition, essentiellement consacrée au Malick Sidibé portraitiste qui répondait d’abord à des commandes privées. Le parcours se termine sur la série consacrée à la figure de Daouda Coulibaly, dit « Amadou Ballo », styliste couturier dont l’atelier était voisin de celui de Malick Sidibé, dans le quartier très vivant de Bagadadji. Les tirages d’époque, commandes de Ballo, dont un a été cousu de sa main, rappellent la très grande complicité entre la mode et le portrait de studio, tout comme la musique et le cinéma qui ont inspiré d’innombrables poses ludiques aux clients.

En conclusion, que retenir de cette rétrospective, conçue pour séduire le public parisien, si ce n’est qu’elle vise d’abord à consolider la légende de Malick Sidibé, photographe des soirées dansantes dans le Bamako des années 1960–1970 ? Le visiteur reste en effet un peu en surface des histoires multiples qui se trament derrière cette photographie vernaculaire, surtout stimulé par la bande-son qui accompagne l’exposition et les titres fleuris donnés postérieurement par le photographe à ses œuvres.

1 Mali Twist, c’est aussi le titre d’une chanson du bluesman Boubacar Traoré, dit « Kar Kar », très populaire au Mali dans les années 1960.
2 « Malick Sidibé, Mali Twist », du 20 octobre 2017 au 25 février 2018 à la Fondation Cartier (Paris). Pour rappel, la Fondation Cartier a été la première institution, dès 1995, à exposer le travail de Malick Sidibé en dehors des frontières du Mali.
3 Ce Lion d’or lui a été décerné par la volonté du commissaire et critique d’art Robert Storr, alors directeur artistique de la Biennale (qu’on retrouve par ailleurs comme contributeur dans le catalogue de l’exposition).
4 Cosima Spender, Dolce Vita Africana, film documentaire, 60 min, 2008.
5 Le livret de l’exposition invite d’ailleurs le public à partager ses poses sur les réseaux sociaux avec le mot-clic #StudioMalick.
6 Malick Sidibé, Chemises, coédition Steidl GwinZegal, 2008.
7 À propos des apprentis de Malick Sidibé, coauteurs invisibles de certains clichés devenus célèbres, lire l’article fort intéressant de l’historienne de l’art Candace M. Keller, « Framed and Hidden Histories. West African Photography from Local to Global Contexts », African Arts, vol. 47, no 4, Hiver 2014, p. 36–47.

Érika Nimis est photographe, historienne de l’Afrique, professeure associée au Département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal. Elle est l’auteure de trois ouvrages sur l’histoire de la photographie en Afrique de l’Ouest (dont un tiré de sa thèse de doctorat : Photographes d’Afrique de l’Ouest. L’expérience yoruba, Paris, Karthala, 2005). Elle collabore activement à plusieurs revues et a fondé, avec Marian Nur Goni, un blog dédié à la photographie en Afrique : fotota.hypotheses.org/.
 
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 109 – REVISITER ]
[ Article individuel, en numérique, disponible ici : Malick Sidibé, Mali Twist – Érika Nimis ]