Le chat de Bruxelles – Benoît Chaput

[Printemps 1990]


par Benoît Chaput

L’histoire d’un chat n’est jamais vraiment intéressante. Les chats sont trop nombreux sans doute… ou trop mystérieux. C’est du moins une opinion… assez répandue.

Mais c’est curieux, justement parce que ce jour-là, à Bruxelles, nous étions tous les trois emportés par une discussion essentielle, capitale même, qui nous absorbait totalement. C’était au bistro La mort subite où l’on nous avait servi à chacun quelques verres de cette fameuse – et très forte – Gueuze. Nous en avions absorbé énormément et rien au monde n’aurait pu nous distraire de cette absorption qui nous poussait à nous élever énergiquement contre, mais à être cependant d’accord avec certains aspects de. Rien au monde, et pourtant il ne lui a fallu que quelques tours de son manège pour obtenir de tous le silence le plus complet et le plus étonné.

C’était un chat avec entre deux yeux un museau au bout duquel poussaient des moustaches et du poil partout sur le corps, avec une démarche fél… un minou quoi ! Mais je n’en avais jamais vu faire ce que celui-là faisait : assis bien sagement derrière le comptoir du bar, il se levait d’un bond pour traverser l’énorme salle en direction de la porte. Parvenu à celle-ci, il s’asseyait sur le seuil et penchait sa tête d’un côté, puis de l’autre, pour voir ce qui se tramait dans sa rue. Exactement comme devait le faire la patronne. Puis, après avoir regardé 3 fois de chaque côté, il retraversait la salle pour venir s’asseoir à l’endroit initial. Nous étions sidérés. Ce qui faisait la force de ce petit tour de piste, c’est qu’il se répétait toutes les 5 minutes. Et toujours exactement le même rituel. Nous sommes partis, ne pouvant retrouver notre emportement. Lorsque je la lui ai racontée, Kalinowsky m’a dit que c’était l’histoire la plus platte qu’elle avait jamais entendue