[Printemps 1990]
par Pauline Martin
Je photographie des âmes et sur la pellicule, au développement, je vois surgir le regard, le jeu des mains, la démarche. Je suis diaPOSITIVE, je traverse l’épreuve, me bats contre le cliché et je suis enfin l’image ; et l’image me fait rire. Le sujet m’aurait fait pleurer.
Être l’image, incarner pour un temps l’autre, vous amener jusqu’à l’hallucination. Quel bonheur ! Changer de peau et cachée derrière cette autre, vous entendre rire. La jouissance de l’enfant espion, à qui il prend parfois l’envie de sortir de sa cachette « to join the party ». Mais non, je ne veux pas briser l’illusion, repartir le temps, je veux prolonger l’intimité de ne plus être soi mais d’être ensemble cette image, pour le plaisir, uniquement pour le plaisir, le plaisir de rire.
Le rire, l’aérobie des organes internes. Le tremblement de chair libérateur, l’irruption volcanique des émotions larvées. La secousse comique qui transforme à jamais le paysage de nos vies. Le coude à coude des grands événements, la solitude enfin brisée, le sentiment si fort de se ressembler, de se regarder jusqu’à l’insupportable et d’enfin retourner à nos différences, retrouver sa peau et l’illusion qu’on est bien caché derrière.
Mais attention, je photographie les âmes.