Janick Burn, Aubes — Marie-Ève Leclerc-Parker

[Hiver 2020]

Plein sud, Longueuil
Du 18 mai au 22 juin 2019

Par Marie-Ève Leclerc-Parker

L’aube annonce la fin de la nuit. Elle correspond aussi à la première lueur du jour, à cette apparition à la fois soudaine et progressive qui la rend presque insaisissable. Dans la salle tamisée du centre de diffusion en art actuel Plein sud à Longueuil, l’exposition Aubes de Janick Burn investit précisément cet entre-deux en nous faisant témoins de cet état transitoire.

Lauréate de la Bourse Plein sud 2018, un prix remis annuellement depuis 1995 visant à encourager les pratiques émergentes, l’artiste a présenté au printemps 2019 une œuvre vidéo-performative qui a infiltré son quotidien pendant plus de six mois. Entre les solstices d’été et d’hiver de l’année 2017, elle s’est engagée à observer l’aube depuis la fenêtre de sa chambre à Montréal, tous les jours où c’était possible, en s’imposant un protocole de travail strict : documenter son expérience par une série de plans-séquences et une prise de notes journalière. Au sein d’une exposition minimaliste et épurée, constituée d’une grande projection et d’un livre d’artiste, se trouve un récit intime préservé dans une centaine d’heures de vidéo et plus de deux cents pages annotées.

Au même titre que l’aube, le projet de Janick Burn se découvre progressivement. Peu à peu, on accède à une proposition qui s’intéresse à la relation entre le corps et les cadres de l’image et du travail. On s’introduit à Aubes par la contemplation de captations vidéo qui donnent à voir une grande fenêtre donnant sur l’extérieur. Au fil des enregistrements qui traversent les saisons, le bleu de la nuit fait place au violet, au rose et orange du matin. Figure centrale de la vidéo, la fenêtre est ici protectrice, en permettant à l’artiste de regarder sans être aperçue, utilitaire, en laissant entrer l’air et surtout la lumière, et point de vue, en cadrant le regard. Plongé dans la pénombre, l’espace se révèle graduellement en laissant place aux détails de la pièce habitée par différents objets usuels, mais aussi par l’artiste. Parce qu’au-delà de ce qui est donné à voir par cette rencontre avec le temps et la lumière, il y a tout ce qu’on ne perçoit pas : le corps à l’œuvre.

Hors du cadre, Janick Burn observe, ressent et écoute. Elle résiste aussi. À la fatigue, à la faim, à l’inconfort notamment, ainsi qu’au pouvoir du regard en refusant d’apparaître dans l’image. Si l’action de cadrer lui permet d’affirmer sa présence, elle résiste au fait d’être enfermée dans l’image en investissant le hors champ comme un espace de liberté. À cet égard, Aubes constitue un lieu de confrontation et de réflexion pour l’artiste qui estime que la manière « la plus juste et la plus sensible d’aborder le corps serait de ne pas le donner à voir ».

L’expérience vécue de Janick Burn lors de ces six mois se révèle également par la lecture du livre d’artiste qui accompagne l’exposition. La publication, qui relate les observations de l’artiste au moment des aubes, prend la forme d’entrées journalières datées. Ce qui est dérobé du regard à l’écran se manifeste ici par l’écriture, verticale et spontanée, qui devient une autre trace de la performance et du corps. Parmi les notes liées à l’état physique et émotionnel de l’artiste qui varie au quotidien (faim, anxiété, étourdissement, solitude), on retrouve aussi des descriptions de son paysage visuel et sonore (caméra, lampadaire, ciel, avions, oiseaux), ainsi que des passages poétiques dévoilant une sensibilité littéraire certaine. Les notes prises à la main dans un carnet, retranscrites pour le livre sans altérer la forme initiale, incorporent le processus à l’œuvre en nous permettant de témoigner de l’entre rendu visible par Aubes.

je suis encore entre les deux
pas seulement la nuit et le jour
mais le réel et l’image
la fenêtre et l’écran
mais le ciel est l’écran
de la lumière

Initialement, Aubes m’est apparu par une avenue privilégiée, soit celle de l’artiste. La côtoyer dans les dernières années m’a permis d’observer les bribes de ce projet dans sa vie avant même qu’il ne prenne sa forme finale : le dévouement, l’aménagement d’un nouveau chez-soi, les réflexions, les doutes, la fatigue… En investissant les potentialités du visible et de l’invisible, Aubes agit en tant que révélateur d’un point de vue sur une expérience vécue, mais aussi d’un questionnement plus large sur les enjeux politiques de la représentation. Si cette exposition marque la conclusion d’un projet de longue haleine, les aubes resteront pour ma part habitées par le récit intime d’une artiste engagée.


Travailleuse culturelle et auteure, Marie-Ève Leclerc-Parker est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art de l’UQAM portant sur la résidence d’artistes dans le réseau des centres d’artistes autogérés du Québec, et plus précisément sur sa résistance à la définition. Elle occupe actuellement le poste de responsable des communications à la revue Vie des Arts et siège au conseil d’administration de Verticale – centre d’artistes.


Acheter ce numéro