Arles, Les Rencontres de la photographie — Bruno Chalifour

[Été 2020]

Une histoire française
Françoise Denoyelle
Paris, Les Rencontres d’Arles / Art Book Magazine 2019, 320 p. (ill. n&b)

50 ans d’histoire
Françoise Denoyelle et Sam Stourdzé
Paris, La Martinière, 2019, 278 p. (ill. couleur)

Par Bruno Chalifour

Les Rencontres d’Arles célèbrent leur 50e anniversaire en deux publications. Été 1970 – été 2019 : que de chemin parcouru en 50 éditions de ce qui cons­titue maintenant le plus ancien, et sans doute le plus prestigieux des festivals photographiques de la planète.

En 1970, un petit groupe constitué d’un photographe, Lucien Clergue, du conservateur des musées locaux, Jean-Maurice Rouquette, et d’un auteur primé, Michel Tournier, invite quel­-ques photographes (Boubat, Brihat, Dieuzaide, Gautrand, Sudre, l’Américain Todd Webb, etc.) et le conservateur pour la photographie de la Bibliothèque nationale à les rejoindre pour mettre sur pied une manifestation photographique dans le cadre du festival annuel d’Arles. Cinq expositions monographiques sont organisées : Brihat, Charbonnier, Sudre, et les Américains Gjon Mili et Edward Weston. Pendant l’été, près de 15 000 personnes voient les expositions, c’est donc un succès. L’année suivante, un prix du livre est créé, remporté par East 100th Street de Bruce Davidson ; la machine est lancée. Avec quelques cahots, et une reprise en main critique par François Hébel qui dirige le festival de 2002 à 2014, le chemin parcouru se mesure à l’été 2019 aux 51 expositions et aux 145 000 visiteurs auxquels on peut ajouter 19 000 professionnels et 10 000 élèves et étudiants (pour la « Rentrée en images » de septembre), 210 artistes et 43 commissaires d’ex­position qu’ont rassemblés les propositions de Sam Stourdzé, directeur des Rencontres depuis 2015.

À l’occasion de cet anniversaire, commande est passée à Françoise Denoyelle, professeure des universités (Paris I et École nationale supérieure Louis-Lumière), de deux ouvrages et d’une exposition rétrospective lors des Rencontres d’Arles 2019. Le premier, éminemment historique, de plus petit format que le deuxième, s’intitule Arles, les Rencontres de la photographie. Une histoire française. Publié par les Rencon­tres d’Arles elles-mêmes, il présente deux parties principales : « Une histoire française » et « 50 ans de Rencontres d’Arles » en 320 pages. Chaque partie est elle-même découpée en cinq mini­chapitres, parfois entrecoupés de vues d’Arles en noir et blanc prises par Bernard Plossu. Comme leurs titres l’indiquent, la première partie établit un contexte dans lequel vient se lover la deuxième, une approche chronologique de l’évolution du festival au fil de ses directeurs : 1970–1976, 1977–1985, 1986–2001, 2002–2014, 2015–2019.

La tâche était de taille, les docu­ments et sources multiples, et le temps pressait, ce qui explique parfois quelques redondances. Le défilé des directeurs, dont la lecture aurait pu être rébar­bative, est judicieusement émaillé de courtes interviews : Jean­Maurice Rouquette, Christian Caujolle, une photographe Jane Evelyn Atwood, Clément Chéroux, et, bien sûr, Sam Stourdzé, l’actuel directeur qui se taille la part du lion dans les deux ouvrages où l’œil de l’auteur semble moins neutre/ critique à son égard qu’envers Lucien Clergue (en 1994), Michel Nuridsany (1995), Giovanna Calvenzi (1998), Gilles Mora (1999–2001), ou même François Hébel. Il est aussi à noter que si la participation des Arlésiens (ou leur absence) est notée, il n’est nulle part fait mention de l’off du festival, Voies Off, recréé par quelques étudiants de l’École nationale supérieure de photographie d’Arles en 1996 et géré par ceux qui sont restés à Arles depuis cette date, à l’instar de son directeur, Christophe Laloi.

Ces mots de Françoise Denoyelle concluent le premier ouvrage : « Les Rencontres ont été beaucoup copiées, elles ont inspiré maints évènements dans leur sillage […]. Elles n’ont pourtant aucun équivalent au monde. Le “ce que j’ai vu ici est unique au monde”, clamé avec enthousiasme par Ansel Adams en 1974, est toujours d’actualité. » De fait, les deux seules fois où Adams s’est déplacé en Europe, il a été l’invité des Rencontres d’Arles. Ces deux venues attestent d’ailleurs du lien qu’ont longtemps entretenu les Rencontres avec la photographie américaine, surtout dans leurs premières années à l’instigation de Lucien Clergue, une relation assez peu développée dans les deux volumes – un euphémisme quand on considère que la galerie Light créée à New York en 1970 se retrouve bizarrement à Boston et que l’importance du développement de l’éducation universitaire pour la suprématie de la photographie américaine de 1947 (date de la première exposition de Cartier-Bresson au Musée d’Art moderne de New York) à 1990 est limitée à une brève évocation du Visual Studies Workshop de Nathan Lyons.

Arles, les Rencontres de la photographie. Une histoire française s’achève sur des annexes historiques extrêmement utiles (surtout si recoupées avec celles du deuxième volume). Y sont répertoriés, pour la période de 1970 à 2018, les photographes et artistes présents aux Rencontres, les prix décernés (à l’exclusion de ceux décernés à Voies Off, dont le prix Leica Oskar Barnack qui en 2015 passe des Rencontres à Voies Off), les directeurs artistiques et présidents des Rencontres, les maires d’Arles, les directeurs de l’École nationale supérieure de photographie, et bien sûr les nombreuses sources qui attestent l’important travail de recherche de l’auteur.

Le deuxième volume commémoratif publié à l’occasion du 50e anniversaire des Rencontres d’Arles aborde le sujet d’une façon originale et certainement plus visuellement agréable pour le commun des lecteurs. Cet épais catalogue à couverture cartonnée, qui rappelle le format des catalogues officiels des Rencontres depuis 2015, allie témoignages d’acteurs éminents du festival (encore vivants en 2019 – il est cependant à noter que le dernier des créateurs vivants du festival, Jean-Maurice Rouquette décède en 2019, ainsi que Jean-Claude Gautrand) interviewés par François Denoyelle, et pages de photographies sélectionnées dans la collection des Rencontres (en dépôt au musée Réattu d’Arles) par le directeur actuel du festival, Sam Stourdzé.

En introduction, Denoyelle signe également un historique du festival. L’ouvrage suit la même découpe historique qu’Une histoire française vu plus haut : 1970–1976, 1977–1985, 1986–2001, 2002–2014, 2015–2019. Une entrevue substantielle illustre chaque période : respectivement Jean-Claude Gautrand (photographe, participant fidèle de la première heure et auteur d’une histoire des Rencontres pour leur 30e anniversaire), Maryse Cordesse (première présidente des Rencontres de 1977 à 1987),


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