[Été 2021]
Par Zoë Tousignant
[Extrait]
J’ai fait la connaissance de Vincent Lafrance en 1996, alors que nous étions tous deux jeunes étudiants au programme de photographie du Cégep du Vieux-Montréal. J’ai décidé très vite que j’aimais ses photos, à un point tel que j’ai acheté une sélection de petites épreuves qu’il avait réalisées pour un devoir : une série de délicats paysages en noir et blanc, tirés sur papier fibre, de sa ville natale de Saint-Mathias- sur-Richelieu. Je reconnais aujourd’hui ce geste d’acquisition comme un signe avant-coureur de mon éloignement de la pratique de la photographie au profit d’un engagement théorique plus authentique envers les images des autres. Je le vois aussi comme la preuve d’une proximité esthétique intuitive. Même si je ne suis pas toujours au fait de la vie personnelle de Lafrance dans ses moindres détails, nous avons, au cours des vingt-cinq dernières années, collaboré sur un certain nombre de projets1. Nous avons en commun un intérêt pour les formes populaires d’expression, une conviction que l’art contemporain peut être accessible à un large public et un désir de mettre en relief, d’une façon ou d’une autre, celles et ceux qui composent la communauté des arts visuels au Québec. Je crois avoir une bonne compréhension de la trajectoire de sa carrière artistique jusqu’à présent, et que je saisis son sens de l’humour si particulier, ainsi que tout le sérieux avec lequel il le met en pratique.
Sa plus récente œuvre vidéo, Savoir vivre (2021), est une websérie constituée de douze courtes capsules, allant de cinq à huit minutes chacune. Elle raconte l’histoire de « Vincent Lafrance » qui, après la mort de son père, se trouve chargé de la vente de la maison familiale située à Fitch Bay, dans les Cantons-de-l’Est. Il arrive sur les lieux au milieu de l’hiver ; sur une période qui semble correspondre à plusieurs mois, on le voit aux prises avec les difficultés de se déplacer dans la région sans voiture (à la suite de la perte récente de son permis de conduire), de vendre une demeure en plein hiver et de poursuivre son travail de photographe culinaire professionnel (quoiqu’un peu excentrique). À de rares exceptions près, on voit « Vincent Lafrance » complètement seul, déblayant sans fin la neige autour de la maison, lisant de vieux numéros du Monde diplomatique, ou encore marchant jusqu’à la localité la plus proche en quête de produits frais à photographier. Nous sommes témoins de sa peine et de ses tentatives maladroites de faire partie du monde. Le « savoir vivre » du titre évoque, dans ce contexte, l’art de l’étiquette et de la cuisine raffinée, mais aussi les compétences essentielles pour tendre vers un bien-être mental et physique…
Traduit par Frédéric Dupuy
Suite de l’article et autres images dans le magazine : Ciel variable 117 – DÉCALÉ