Amandine Alessandra, Marine Baudrillard, Carole Lévesque, Katharina Niemeyer et Magali Uhl, Écran total — Edward Pérez-­González, La machine d’absence

[Automne 2021]

Par Edward Pérez-­González

[Extrait]
Les réflexions sur l’écran et sur les relations entre l’image et la réalité proposées par le philosophe Jean Baudrillard (1929– 2007) dans son texte Écran total ont servi à échafauder la mise en scène de l’exposition du même nom, présentée par le Centre de design de l’UQAM1 et fruit d’un commissariat collectif. Projetées sur les murs, les photographies réalisées par Baudrillard enveloppent physiquement et conceptuellement les œuvres des artistes invités – Adam Basanta, Penelope Umbrico, Mishka Henner et Vaseem Bhatti –, ainsi que celles de ceux qui ont été sélectionnés par concours – Charlie Doyon, Clint Enns et Xuan Ye. Ces œuvres visent à remettre en question les implications, dans la vie contemporaine, de l’omniprésence du monde des écrans.

Plus de séparation, plus de vide, plus d’absence : on entre dans l’écran, dans l’image virtuelle sans obstacle. On entre dans sa vie comme dans un écran. On enfile sa propre vie comme une combinaison digitale2.

Dans l’incessant désir que nous avons de nous inventer une vie stimulante, conditionnée et valorisée par le regard de l’autre, nous nous abandonnons sans réserve au monde des écrans. L’être contemporain ne peut exister qu’à travers eux, étranger à ce qui est mis de côté dans ce processus de déshumanisation: l’odeur, le goût, la texture, le poids, la densité, le temps… Hypnotisés, nous entrons dans l’écran, participant et nous soumettant au bombardement effréné des images, dont ne sont pas exclues celles qui devraient naturellement nous plonger dans la stupeur : catastrophes naturelles, violences, injustices, racisme, homophobie, génocide, etc. On les appréhende comme s’il s’agissait d’images de films de fiction, de constructions narratives et, même, comme des restes d’un imaginaire désormais révolu. En nous séparant du réel, l’écran semble nous protéger, nous mettre à l’abri, nous soustraire à la condition humaine, à ce qui pourrait nous faire souffrir. Nous vivons donc dans le temps du « dé­ », non pas dans le sens d’une négation ou d’une inversion des significations, ni dans celui d’un excès, mais plutôt dans le sens d’être « hors de ». Dé­sensibilisation, déshumanisation, recherche d’une existence hors de l’humain.

La mise en espace de l’exposition s’appuie sur l’idée de nœud central et d’enveloppement. L’enveloppe est composée de plusieurs projections vidéo présentant de courtes séquences dans lesquelles alternent des photographies prises par Baudrillard et des extraits de ses textes. On dirait que, résistant à l’effacement du sujet et à la dissolution des singularités, Baudrillard tente, à travers ses photos, de capturer la valeur de l’expérience, de la vie réelle comme événement intense, de ce « je » que je suis, du corps physique, des sensations et des perceptions…

Suite de l’article et autres images dans le magazine : Ciel variable 118 – EXPOSER LA PHOTO