Exposer l’image pour dire les mutations du monde

[Automne 2021]

Par Jacques Doyon

Le dossier de ce numéro présente trois expositions récentes montrant comment la photographie peut contribuer activement à façonner une vision du monde. La première, qui met l’accent sur la quantité et la diversité des images, signale comment le cumul des points de vue et des sujets abordés permet d’outrepasser la limitation intrinsèque au cadrage et à la fixité de la photographie, et réussit ainsi à rendre compte des mutations rapides de la civilisation humaine à l’échelle du globe. La seconde exposition, réalisée autour de l’œuvre de Jean Baudrillard, porte sur l’omniprésence des images dans la société contemporaine, sous la forme d’un « écran total » multiforme et envahissant qui amplifie la réalité en la virtualisant. La troisième fait état d’un parcours de réflexion critique sur l’image photographique, s’alimentant de la rencontre des œuvres et des photographes, pour construire la vision d’une communauté photographique.

Civilization – Quelle époque !, une ambitieuse exposition réalisée sous le commissariat de William A. Ewing et Holly Roussell, entend établir un constat de l’état de notre civilisation à partir de quelque 200 œuvres, réalisées par 110 photographes en provenance de cinq continents. Elle donne un aperçu global des grandes transformations qui affectent désormais la planète entière et en font un tout intégré. Huit grandes sections thématiques permettent ainsi d’appréhender les vecteurs d’une transformation accélérée du monde qui rend le sort de la grande majorité de l’humanité interdépendant, et soumis à une même rationalité technologique, une même visée civilisationnelle. Par la multiplication des points de vue et l’assemblage des images, la photographie parvient à relever la complexité du monde et de ses mutations, en dépit des limites de son cadre et de sa fixité.

Écran total, un projet universitaire de recherche et d’échange organisé par cinq commissaires, a donné lieu à une exposition, un symposium et des activités d’enseignement qui ont amené un grand nombre d’intervenants à réfléchir, à partir des écrits de Jean Baudrillard, sur l’impact de l’omniprésence des écrans dans nos vies. L’exposition présentait une série d’œuvres multimédia récentes s’inscrivant dans cette réflexion sur la notion d’« écran total », mises en opposition avec des images issues de la pratique photographique de Baudrillard. La photographie se voyait ainsi présentée selon un mode plus « traditionnel », porteuse de sensations et d’affects, alors que les œuvres multimédias prenaient globalement un tour plus analytique et abstrait, insistant dans la suite des réflexions de Baudrillard sur la part « machinique » de l’image-­écran.

Trois photographes montréalais + est une exposition singulière, organisée par Robert Graham, critique de photographie, autour de pièces de sa collection personnelle, afin de rendre compte de l’importance, pour sa vision et sa compréhension de la photographie, de la rencontre avec ces œuvres et les photographes qui les ont réalisées. Axée sur le travail de trois photographes ayant eu un rôle significatif sur le façonnement de la scène photographique montréalaise (Tom Gibson, Donigan Cumming et Michel Campeau), et avec l’apport de quelques œuvres internationales choisies, l’exposition réussissait cet exploit d’offrir un aperçu du développement organique de la scène locale, notamment grâce aux commentaires détaillés de Graham sur les œuvres, son propre parcours et les développements institutionnels de ces années­-là.