[Été 1990]
par Gilles Saint-Pierre
Le 102, boulevard Haussman : habité par Proust de 1906 à 1919. Proust, le plus parisien de tous les écrivains français. Son souvenir me hante en me promenant autour de l’église de la Madeleine.
J’ai beau braquer mon Leica dans toutes les directions, aucune image ne vient. Photographier les alentours, l’église et la devanture de l’immeuble où il habita : dérisoire et futile. Devant le Ritz de la place Vendôme, où Proust tenait salon. Quelques heures avant de mourir, il y envoya chercher sa dernière bière. L’angoisse m’étreint. Comment rendre photographiquement le temps disparu ?
La pensée de Proust hantera une bonne partie de mon séjour parisien jusqu’à ce que je fasse sa rencontre, comme ça, par hasard, dans une allée du parc Monceau. Cet homme assis sur un banc, en train de griffonner quelque chose ; peut-être une page de À la Recherche… Il portait un drôle de petit chapeau, comme celui que portait Proust, vu de dos, sur une photo de lui prise lors de son séjour à Venise. Bien souvent, les photographies que l’on prend ne sont que des réminiscences d’images déjà vues. À ce compte, la photographie ne serait-elle qu’une longue suite d’images qui se répètent ? Est-ce là l’essence du cliché : image photographique trop souvent utilisée ? Je m’approchai subrepticement, fis deux ou trois prises de vue, et m’en retournai de la même façon. Je ne voulais surtout pas qu’il s’en aperçoive; qu’il se retourne. J’avais peur que la vue de son visage ne rompe le charme.