À la recherche de lieux qui nous parlent

[Automne 2022]

Par Jacques Doyon

Marcher dans la ville, parcourir les routes, découvrir le pays, se déplacer dans les capitales étrangères – bref, se mettre en mouvement – pour confronter d’autres perspectives, relativiser ses valeurs, ou au contraire les affirmer, et prendre la mesure du monde que nous habitons. Cette mobilité, ces déplacements constants, sont à la base des travaux ici réunis ; s’y ancre le désir de montrer l’envers de l’Amérique, de prendre à rebours les icônes du tourisme planétaire ou de mesurer l’hypertrophie des grandes agglomérations urbaines.

Pour Highway Kind, Justine Kurland a sillonné les routes des États-Unis, loin des capitales, en photographiant des hommes surtout, mais pas seulement, leur fascination pour les voitures et les trains, avec un intérêt pour les modes de vie alternatifs. Son fils, Casper, l’a accompagnée durant ses pérégrinations depuis son plus jeune âge, mais une distance s’est maintenant installée entre eux. La publication de ces extraits, centrés sur lui, est l’occasion de faire le point sur ses inquiétudes de mère quant au devenir de son fils, mais aussi plus généralement sur celui des jeunes hommes adultes, dans un pays déchiré par des valeurs antagonistes. Ses inquiétudes trouvent un écho chez Moyra Davey, elle aussi une mère élevant un jeune garçon, qui commente les images de ce portfolio à partir de sa propre expérience.

Depuis 2015, Chun Hua Catherine Dong effectue une série de performances dans différents lieux iconiques de grandes villes mondiales (immeubles, places, monuments…). Elle s’étend au sol, couverte d’une couette en soie brodée de motifs traditionnels chinois chaque fois différents, et se fait photographier devant ces lieux emblématiques d’une urbanité triomphante. Le projet I Have Been There (« J’étais là, j’y suis allée ») détourne ainsi la photo touristique courante et l’omniprésent égoportrait, en inscrivant une présence corporelle inusitée, forte des attributs d’une culture originelle. Il en résulte une puissante affirmation identitaire dans l’espace public de métropoles de plus en plus homogènes. La performance photographique réalisée à New York s’inscrit dans une série concrétisée dans quelque 15 pays, 36 villes et plus de 300 sites.

Peu de présence humaine dans les images de villes de Pierre Blache, si ce n’est à une échelle microscopique ou par l’évocation de cubicules habitables ou de fenêtres éclairées. C’est plutôt la cité comme organisme vivant qui est dépeinte, tout entière faite de réseaux (électricité, transport, aération…) et de modules de vie agglomérés les uns aux autres. Les points de vue sont distants, en plongée ou contre-plongée vertigineuses, comme pour signaler l’écrasante dimension de ces endroits que l’humain s’est créés pour y vivre, et dans lesquels il cherche un peu d’humanité. Ces images témoignent d’une sorte de sidération devant la déshumanisation de mégalopoles aux dimensions démesurées et qui ont comme une sorte de vie propre là-haut, très haut, ou dans leurs entrailles.

Déambuler, errer… pour trouver des lieux nous disant qui nous sommes, et que nous puissions nous réapproprier et, ultimement, refaçonner.

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 121 – DÉAMBULATIONS ]
[ L’article complet et plus d’images, en version numérique, sont disponibles ici : Déambulations