Dialogue photographique sur la Route de la soie — Claudia Polledri

[Automne 2022]

Par Claudia Polledri

Dialogue photographique sur la Route de la soie
Nadar/Payram
Paris, Éditions Le bec en l’air, 2021, 112 p

[Extrait]
Un livre, deux trajectoires, une même route et la photographie : Dialogue photographique sur la Route de la soie est un voyage surprenant à travers l’espace, le temps et l’histoire de la photographie. Le photographe iranien Payram l’a construit en juxtaposant ses clichés, pris lors de nombreux voyages en Asie centrale, à ceux, mythiques, effectués par Paul Nadar dans ces mêmes lieux plus d’un siècle avant lui, en 1891. Entre les deux, presque tout a changé : les noms attribués à cet espace géographique, le cadre politique, l’architecture, les paysages. La photographie devient ainsi l’espace de rencontre à partir duquel ces trajectoires, proches et lointaines à la fois, entrent en relation, bien au-delà de leur superposition géographique. Ce n’est qu’une fois son projet entamé que Payram a découvert Nadar et s’est rapproché de lui, qui deviendra son compagnon de voyage. Sa finalité n’est pas de s’inscrire dans le sillage – soit-il géographique ou visuel – du photographe français, mais de tracer son propre chemin. Et pourtant, le dialogue est bel et bien là, la forme du livre, simple et originale, soutenant la possibilité même de cet échange avec finesse : deux albums juxtaposés et reliés l’un au-dessous de l’autre, que l’on peut consulter en même temps. Au lecteur/spectateur revient le rôle de circuler entre les deux, et de construire son propre parcours.

1891 : Les raisons qui ont amené Paul Nadar à quitter l’atelier de la rue d’Anjou pour entreprendre un voyage au Turkestan ne sont pas claires1. Certes, l’expansion coloniale, les liens diplomatiques entre la France et la Russie, l’intérêt croissant pour les récits de voyages illustrés, ainsi que les explorateurs qui fréquentent son atelier, ont constitué un terrain fertile pour la conception et la mise en place de ce projet. La correspondance de Paul Nadar pendant son voyage, ainsi que les images elles-mêmes, dont plusieurs clairement dédiées au chemin de fer Transcaspien, un itinéraire de plus de 2000 kilomètres, laissent toutefois entendre que le photographe avait été mandaté pour documenter l’évolution du chantier ainsi que ses principales innovations techniques. De Paris à Samarcande (Ouzbékistan), aller-retour, en passant par Constantinople, la mer Noire, la mer Caspienne, et puis Bakou, Tiflis, Boukhara, Merv, entre autres : pendant trois mois, Nadar circule gracieusement sur les trains russes avec un arsenal photographique non négligeable et novateur pour l’époque. En plus de sa chambre traditionnelle 30 × 40 avec son pied et un stock de clichés-verre au gélatino-bromure d’argent, Nadar apporte son appareil, l’Express-Détective-Nadar, avec les bobines Eastman, ainsi que le Kodak n. 2. Leur utilisation se refète dans le type d’images rapportées.

1 À propos du voyage de Nadar, voir Anne Marie Bernard et Claude Malecot, L’odyssée de Paul Nadar au Turkestan, 1890, Paris, Éditions du patrimoine, 2007, 274 p.

Claudia Polledri est chercheuse postdoctorale au département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, où elle a obtenu un doctorat en littérature comparée consacré aux représentations photographiques de Beyrouth (1982–2011). Spécialiste de la photographie contemporaine au Moyen-Orient, elle a été commissaire de l’exposition Iran. Poésies visuelles, présentée au Québec en 2019.

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 121 – DÉAMBULATIONS ]
[ L’article complet et plus d’images, en version numérique, sont disponibles ici : Dialogue photographique sur la Route de la soie — Claudia Polledri ]