[Automne 2023]

La séquelle abymée
Michel Hardy-Vallée

[Extrait]

J’adorerais aller séance tenante au Main pour y manger un smoked meat, mais c’est fermé.

Je veux dire : le Main Deli vient juste de mettre la clé sous la porte. C’était celui en face de Schwartz’s. On y servait le même genre de sandwichs qui sont trop gras pour les tenir dans la main, mais sans touristes. Leonard Cohen préférait le Main, comme moi. Sans doute parce qu’on pouvait toujours y entrer à l’improviste, manger, puis poursuivre son petit bonhomme de chemin. Nul besoin de s’astreindre à poireauter devant un musée de la viande, de subir le poids de son histoire en mangeant et de se convaincre d’avoir vécu un dîner mythique, alors que tout ce que vous vouliez est un mi-maigre avec frites, cornichon, salade de chou et piment banane.

Bon, je suppose qu’en tant qu’historien (de la photographie, pas de la viande), mon domaine de travail est responsable de mon désarroi : je ne veux pas que les gens oublient le passé, mais je veux aussi qu’ils l’acceptent tel qu’il est. Comme on ne peut pas avoir le beurre (ou le smoked meat) et l’argent du beurre, la solution est peut-être de mettre un frein au rituel de vénération…

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 124 – DES IMAGES POUR MIEUX VOIR ]
[ L’article complet et plus d’images, en version numérique, sont disponibles ici : Edward Hillel, La séquelle abymée — Michel Hardy-Vallée ]