[Automne 1990]
par Michou Marchandet Jean-Pierre Boyer
Pour le Comité de production
Un numéro dense, voire même confrontant, que celui sur le Travail. Mais il s’agit ici de matière sérieuse qui engage la vie de tous les jours. Le travail ne nous suit-il pas de la naissance à la mort ? C’était donc un véritable défi en même temps qu’une énorme responsabilité sociale que celle de ne pas dire et de ne pas montrer n’importe quoi sur un sujet aussi important, vaste et fécond.
Moyenne tâche aussi que de rendre compte de la diversité et de la pluralité des sens que lui confèrent jeunes et vieux, travailleurs et chômeurs, hommes et femmes, au Québec comme ailleurs, en 1990.
Remontant aux origines du mot travail, pour en délimiter le champ sémantique, nous y avons retrouvé la source des sentiments souvent partagés que nous inspire la réalité du travail. Entre l’instrument de torture (tripalium) et les douleurs de l’accouchement (femme en travail), s’ouvrait devant nous tout un champ de métaphores extrêmes pour penser et imaginer autrement le travail.
Car dénoncer ne suffit pas, il faut aussi chercher une solution. Raconter ne suffit pas, encore faut-il ressentir le besoin du changement qui se trame dans le sous-sol de nos mémoires, là où se fomentent l’espoir et le bonheur. Tiraillés entre la contrainte et le plaisir, nous cherchons tous, vraisemblablement, la meilleure façon d’accomplir le minimum de travaux forcés pour pouvoir, au maximum, nous consacrer au travail libre. Voilà l’esprit général dans lequel nous avons fait notre ouvrage.
Anthropologue, sociologue, syndicaliste de renom nous ouvrent des fenêtres sur tout un aspect parfois méconnu de notre réalité quotidienne. Nous avons eu, entre autres, accès à l’imposante recherche inédite de Guy Turcot : Luttes populaires, où nous avons puisé la plupart de nos photos d’archives, visages d’un passé émouvant et controversé. Quant à nos collaborateurs-trices virtuelles et consentant-es, elles-ils nous ont fourni textes et photos tantôt imaginatifs, critiques, drôles, ou tout cela à la fois, et nous n’avons eu que l’heureux problème du choix. Une réponse forte et pertinente, donc, et qui s’est profilée entre l’apologie du travail socialement nécessaire et l’éloge de la paresse… créative. Nous nous retrouvons finalement devant un paradoxe : celui de devoir travailler toujours plus… afin d’en arriver un jour à libérer le travail.
Devant cet éventail de points de vue, nous avons relevé nos manches : il y avait du pain sur la planche. Nous avons pétri les mots et les images, témoins du passé, abstraction ou concrétion d’idées neuves et courageuses. Et le travail accompli, nous relevons la tête dans l’air d’un temps nouveau. Ce numéro est augure de force et d’espoir. Nous croyons avoir réveillé les liens qui somnolaient entre le passé et l’avenir. Nous avons pris en main l’épique et l’appel, et tenté de reconstruire une mémoire collective, où se tiennent debout des êtres humains plus conscients et plus lucides. Si, par ce numéro, nous avons pu contribuer à une réflexion actuelle sur le sens et l’évolution du travail, nous aurons fait œuvre utile. C’est toutefois à nos collaborateurs et collaboratrices que nous le devons, et par conséquent nous tenons à les remercier chaleureusement d’avoir fait de la belle ouvrage.
Bon retour de vacances.