[Printemps 1991]
par Chantal
Dans les mois qui ont suivi mon séjour à l’hôpital psychiatrique, j’ai tenu à noter ce que j’y ai vécu. C’était très important pour moi de ne pas oublier ces jours que je souhaitais ne jamais revivre, du moins pas dans ces conditions-là.
Aujourd’hui, à chaque fois que je relis ces notes, ça me permet de mieux apprécier chaque jour de ma vie : dormir dans mon lit, choisir ma nourriture, circuler librement, travailler et surtout goûter la vie, vouloir toujours un peu plus y arracher ma part de bonheur!
On est en mai 1979. Je me retrouve dans un hôpital ; les portes barrées. Je ne veux pas voir les autres patients qui sont là avec moi. Je ne sais pas combien de temps je serai là. Certaines infirmières sont très gentilles ; avec d’autres j’ai l’impression d’être un fardeau. J’ai peur. Je ne sais pas pourquoi je suis ici. Ou plutôt je veux ignorer pourquoi j’y suis. Personne ne m’explique ce qui se passe et j’en ressens de la honte. A un moment donné, je suis convaincue que je resterai là pour toujours, qu’on a réussi à se débarrasser de moi. Quand un membre de ma famille vient me visiter, il m’arrive de ne pas vouloir qu’il me touche comme si j’étais contagieuse. J’ai des éclairs de réalité durant lesquelles je sais que les personnes hospitalisées avec moi ne sont pas tout à fait « normales » ; et je comprends encore moins ce que je fais là. C’est comme si ce qui m’arrive arrivait à quelqu’un d’autre. Je suis obligée de me forcer pour écrire à la première personne du singulier car ce qui me vient machinalement c’est le « tu ».
La folie est une sueur froide, comme celle qu’on ressent quand on est menacé, une sueur froide qui envahit non seulement le corps mais aussi l’esprit. C’est la tête et toutes les idées qui sont en dérangement. On devient muet. On n’ose plus parler tellement les idées sont confuses. Je ne sais plus quand je peux demander à ma tête de répondre de façon intelligente. Des fois ça marche, des fois à moitié et d’autres fois il n’y a rien d’intelligent qui en sort. J’ai peur de parler car dire des choses sans allure est une garantie de séjour prolongé. Je me force pour avoir de l’allure, mais c’est très difficile ; et je sais très bien que la porte ne s’ouvrira que si j’ai de l’allure. Et puis, il y a d’autres périodes où je ne réussis pas à avoir l’air intelligente ; je m’abandonne alors à cette folie, je dérange, je niaise le personnel infirmier, je me dis : à quoi ça sert?
Le plus drôle c’est quand je me tais, quand je fais tout ce qu’on me demande, je deviens alors la patiente modèle. Mais moi, je sais trop bien que c’est dans ma lutte acharnée que je conserve ma raison et que j’ai une chance de passer à travers. C’est dans le combat que je reste saine : ne pas laisser mon esprit sombrer dans la folie.
Ce que la majorité des membres du personnel infirmier ne comprend pas, c’est ma souffrance. Au lieu d’essayer de la comprendre, on l’étouffe avec des médicaments. On me protège physiquement à l’hôpital, mais jamais on me permet d’épancher ma souffrance. C’est comme si aucun médecin n’avait à ce jour trouvé la réponse. Ma souffrance reste là au plus profond de mon être et moi seule en serai la guérisseuse, moi seule pourrai avec le temps faire de la place à la paix d’esprit, à l’harmonie.
Certaines personnes m’aident. Ce sont celles qui font confiance à mon jugement. Jamais je n’oublierai les gestes de délicatesse du personnel. Je veux toute ma vie me souvenir de leurs noms. C’est peut-être grâce à eux si j’ai gardé l’espoir car pour moi, c’est la tendresse de leurs gestes qui m’a encouragée à continuer alors que tout chavirait et que j’avais l’impression que ma vie était balayée pour toujours.
Même si cinq ans plus tard, j’ai vécu une autre hospitalisation, j’ai continué à grandir d’une façon incroyable. Je me retrouve aujourd’hui FINE, courageuse, tenace. J’ai encore des problèmes bien sûr : je déménage souvent, je change souvent d’emploi, etc., mais le plus important, c’est que j’avance. Je me surprends souvent à vouloir plus et c’est bien correct. J’ai encore des choses à changer, mais l’essentiel, c’est que je profite de la vie que j’ai : elle est à moi, à moi toute seule et non pas un numéro sur un dossier d’hôpital psychiatrique.