[Printemps 1991]
par Emmanuel Colbert
À peine j’esquisse un regard admiratif vers une jeune femme dans le métro, que j’y cherche le pourquoi du comment. Je fouille dans les affres et les détours de mon enfance et de mon éducation.
Je tente vainement de lui attribuer quelques ressemblances avec ma très chère et très respectée mère ou avec une quelconque baby sitter, sirène d’un soir venue me protéger du grand méchant loup pendant l’absence de mes parents. Tant et si bien que je la regarde sortir du wagon sans même lui avoir adressé un sourire!
À chacun de mes réveils comateux, amoureusement recroquevillé sous ma couette, savourant mon état lymphatique du petit matin, je m’improvise une journée sans travail ni activité. Délectation suprême… Et voilà que Freud s’amène en la personne de ma femme! Elle me crie, dans un jargon scientifique non identifié, que la cause de mon état trouve ses origines dans la cour de mon école maternelle… où je me cachais avant la classe, les matins de printemps, pour savourer mon petit déjeuner en admirant l’éclosion des premières fleurs. La magie du moment est brisée. Elle me traite d’irresponsable, d’incapable, de minable. Elle n’en peut plus de mes rêveries et de mes escapades spirituelles qui me rendent fou aux yeux de nos proches! Sur ce, elle claque la porte de la chambre et me fait savoir que j’ai rendez-vous avec son psy. pour régler tout ça, comme elle dit, à 17 heures!
Que je me prenne une cuite monumentale avec des amis un soir, et Freud ma femme décèle dans mon attitude les prémices de notre divorce!
Que je décide de mettre une cravate pour aller au bureau, ce qui n’est pas dons mes habitudes, et voilà les signes d’une virilité affichée!
Que je me goinfre d’une tablette de chocolat pour le petit déjeuner avec mes collègues de bureau, et immédiatement on me demande si, avec ma femme, le baromètre est au beau fixe!
Alors je dis merde ! Merde à tous ces imbéciles qui ont fait de Freud un Dieu. Merde à Freud qui a déshumanisé l’homme, qui a détruit la magie de nos brins de folie en attribuant des causes scientifiques et médicales à toutes nos actions. J’emmerde cet individu qu’on a laissé détruire le peu de poésie qui nous restait.