[Hiver 1992-1993]
Outre ses nombreuses expositions photographiques, il a publié deux livres de photographies: Gifts of War, en 1988, aux éditions Coach House Press et Somoza’s Last Stand, en 1990, aux éditions Williams-Wallace.
par Robert Legendre
Dans ce portfolio, le sujet documenté par Larry Towell passe outre la simple illustration d’un phénomène social. Son approche est foncièrement humaniste et joue aussi bien sur la raison que sur l’émotion. L’objectivité demeure relative. Nous sommes humains.
Cette approche en photographie semble dépassée, au premier abord, si on se réfère à l’efficacité, à l’instantanéité ou même au sensationnalisme de la vidéo pour rapporter des informations sur de semblables sujets. Dans les deux cas, le texte d’accompagnement garde toute son importance, permettant de recontextualiser les images proposées et de fournir les éléments de base pour en orienter la compréhension. Le sujet conserve, dès lors, une signification d’origine; du moins, celle proposée par l’auteur. Sans textes, ces images se limitent à une fonction anecdotique, émotive, parfois décorative, sauf si l’observateur possède déjà les notions culturelles et les informations nécessaires à leur recontextualisation.
Libre des contraintes imposées par l’instantanéité et le sensationnalisme, l’intérêt du genre réside dans la fixité des images qu’il propose. Au lieu de voir se dérouler devant soi des séries de séquences et d’en subir le rythme imposé, la photographie (et l’image fixe) nous permet de saisir l’ensemble des éléments qui la compose et d’en comprendre le contenu, nous permettant ainsi d’évaluer chacun de ces éléments, en rapport avec notre culture et nos convictions, mais aussi au travers de paramètres imposés par leur auteur.
Towell réalise ses photographies en conservant l’approche classique des photographes qui s’intéressent, pour des raisons qui leur sont tout à fait personnelles, à la société dans laquelle ils vivent. Il s’applique donc, depuis plusieurs années, à photographier les membres des sectes mennonites, travaillant aux diverses récoltes maraîchères, en Ontario. Ces gens vivent entre eux et se mêlent peu aux autres communautés des régions où ils trouvent leur gagne-pain, singularisés qu’ils sont par leurs croyances religieuses et par le mode de vie qui en découle.
Originaire de Russie1, une première vague de 8 000 émigrants mennonites arrive au Canada, en 1874, et s’installe au sud du Manitoba et de la Saskatchewan. Moins de cinquante ans plus tard, un groupe de près de 7000 individus, parmi les plus conservateurs de cette secte, décide de migrer vers les plaines du nord et du centre du Mexique. Certains de ces groupes considèrent que les tentations de la civilisation sont encore trop grandes au Mexique, et ils la fuient, en migrant en Amérique centrale et même au nord de l’Amérique du Sud. Vers le milieu des années 1980, les conditions économiques mexicaines étant particulièrement difficiles, des groupes de Mennonites reviennent au Canada afin de travailler aux récoltes maraîchères, cette fois-ci, en Ontario.
En 1985, l’Agricultural Employment Services du comté de Kent avait procuré un emploi de travailleur saisonnier à huit Mennonites. En 1991, ils étaient 1 700 et représentent, actuellement, près de 80 % des cueilleurs de tomates et de concombres de ce comté.
Les règles qui régissent ces sectes sont particulièrement rigoureuses. Toute immixtion du modernisme dans la vie d’un Mennonite est proscrite. Posséder une voiture est considéré comme une transgression de la Loi et entraîne souvent l’excommunication. Certaines entorses sont tolérées cependant, comme celle de se déplacer en camion entre le Mexique et le Canada, pour venir y travailler ou pour retourner au bercail…
Towell propose des images simples, sans violence apparente, qui décrivent l’univers clos, sévère, hors de notre temps, propre aux Mennonites. Ces photographies ont été réalisées de 1990 à 1992, et sont extraites d’un ensemble beaucoup plus volumineux que le portfolio que nous vous proposons.
Le photographe nous fait voir, avec une sympathie et une compréhension évidente, l’abnégation de ces gens face à la vie comme leur soumission à la secte et à ses règles, soulignant constamment leur entêtement à vouloir survivre dans notre univers.
Ces images deviennent pour nous, observateurs, un lieu de réflexion tout comme un lieu d’information qui nourrit, de ce fait, notre imaginaire tout autant que notre passion. Quoique classiques de facture, les photographies de Larry Towell nous interpellent aussi sur le plan de l’émotion, par les sujets exposés, et sur celui de l’esthétisme, par les cadrages et les compositions de chacune des images.
1 Les informations concernant les Mennonites ont été fournies par Larry Towell.
Robert Legendre a enseigné les arts visuels durant près de vingt ans dont dix ans plus spécifiquement en photographie. Depuis le début des années 1970, il pratique la photographie qu’il considère comme un langage. Il a participé à de nombreux colloques sur la photographie tant au Canada qu’en Europe.