Et vogue la galère (journal intime influencé, suite…) !

[Été 1994]

par Robert Legendre

6 mai 1994

J’ai mémoire d’un entrefilet paru, il y a déjà plusieurs semaines, dans le journal La Presse (de Montréal), alléguant que certains membres de la direction de l’Université de Montréal avaient droit, en plus de leurs respectables émoluments, à de discrets avantages marginaux.

7 mai 1994

Je découvre aujourd’hui, dans le même journal, que le chancelier de la vénérable université, M. André Bisson, a refusé de débattre publiquement des avantages pécuniaires consentis à la direction de son institution. Quelle fermeté administrative! Quel sens de l’autorité ! Être un peu…, j’admirerais le Monsieur. Sa réaction ferme, dois-je le souligner, me laisse penser que son usine à cerveaux génère des profits et que, comme le droit de cuissage au Moyen Âge, il en dispose comme bon lui semble. Une main de fer pour la dépense…

L’Université de Montréal n’est pas seule dans son cas. Si on explorait sans complaisance les comptes de certains organismes et institutions para et péri gouvernementaux, on découvrirait sans doute des factures de dentiste, de tonte de caniche ou encore de la location à long terme d’une voiture. Cela devant améliorer, théoriquement, le rendement et la productivité de ces organismes et institutions, mais surtout, paraît-il, augmenter le rendement global de la mise de fonds de l’État en lui évitant une fuite chronique des cerveaux.

8 mai 1994

De quoi « je-me-mêle », me direz-vous ? Je me souviens maintenant de ce qui me chicotait dans le drame existentiel du chancelier de l’Université de Montréal. J’ai fait parvenir, à la fin avril, encore un peu d’argent à deux de nos nombreux gouvernements, en plus de ce qu’ils avaient retenu jusqu’alors. Je crois bien que quelques dixièmes de sous de ma modeste contribution se retrouveront dans les coffres de l’Université de Montréal. Je ne possède pas de voiture. Bast !

9 mai 1994

Je ronge mon frein !

10 mai 1994

Le conseil d’administration des Productions Ciel Variable n’a pas cru bon de me proposer de tels avantages marginaux. Devrais-je magasiner mon prochain conseil d’administration?

11  mai 1994

… c’est comme une provocation !

La culture coûte trop cher, me dit-on dans un article de la main de Mme Marie-Agnès Thellier paru dans le magazine L’Actualité en date du 15 mai 1994. Mme Thellier commentait un sondage CROP qui nous informait que 67 % des Québécois seraient favorables à des coupures dans le domaine des arts et de la culture. Si on extrapolait pour l’ensemble du Canada, ce chiffre demeurerait sans doute le même. Belle rigueur administrative de la part de 67 % de ces « sondés » visionnaires. Le président de CROP précise, naturellement dans cet article, que ses sondés préfèrent sauvegarder les choses essentielles de la vie : l’assurance santé, les pensions de vieillesse, l’éducation… Ils ont raison. Madame la ministre Liza Frulla était en beau joual vert quant à l’interprétation qu’on pouvait faire des résultats de cet exercice de logique effectué par CROP. Tout cela coûte cher, très cher, ma chère. Il faut dire que les sondages exposent parfois un point de vue bêtement logique, sans nuances et sans perspectives. Il nous faudrait ici, pour bien percevoir le ridicule de la chose, mettre en parallèle les chiffres publiés dans l’article de Mme Thellier avec les milliards de dollars que les gouvernements ont versé aux industries de haute technologie et de transformation, souvent pour une période d’activité particulièrement courte (Port-Cartier, Matane, Bromont, etc., au Québec s’entend). Le coût d’un emploi dans ce type d’industrie se compte en centaines de milliers de dollars, et ce, pour une période productive de quelques années au mieux, de quelques mois dans certains cas.

13 mai 1994

Dernièrement, nous avons reçu, à la revue, notre subvention du Conseil des arts du Canada. Il était temps. Et elle n’a pas été réduite… ouf ! Si je me réfère à l’article de Mme Thellier, je devrais peut-être me sentir coupable de recevoir cette modeste somme. J’hypothèque sans doute mon assurance santé, ma pension de vieillesse ou le système d’éducation… Avec cette subvention, nous générons un très très modeste chiffre d’affaires. Une brique dans une façade quoi. Pour comprendre vraiment notre folie, allez « lire sur pied » quelques revues, magazines et journaux dans un kiosque d’un quelconque centre-ville du pays et dites-moi si vous vous y reconnaissez vraiment ?

14 mai 1994

Dans le domaine des arts et de la culture, le coût de création d’emploi est de quelques milliers de dollars (de 2 500 à 10 000 $, suivant le cas). Cet investissement jouit, finalement, d’une période de vie nettement plus rentable pour l’État, mais il est moins reluisant. Du moins, le cycle de l’emploi précaire qu’il impose à bon nombre des travailleurs artistiques et culturels, depuis le début des années 80, permet-il de rentabiliser cette mise de fonds et de maintenir (pour ne pas dire conserver) cette main d’œuvre hautement spécialisée, disponible, et ce, à un coût ridiculement bas ? C’est pratique, c’est économique, et tout cela concourt à assurer la paix sociale.

15 mai 1994

Dans une journée, on travaille près de huit heures, on en dort presque autant, et on déguste le dernier lot à des occupations de loisirs et de détente. Les arts et la culture occupent une grande place dans cette dernière partie de la journée. Si on ajoute les fins de semaine et les congés payés ou non, cela fait plus du tiers de notre temps.

Tout n’est pas art, mais il y a beaucoup de choses de notre vie qui sont culturelles, y compris le hockey. La culture d’un peuple peut intéresser un autre peuple, mais ne peut en aucun cas remplacer sa propre culture, hormis si ce peuple est profondément colonisé. Je ne me sens aucune affinité avec l’abominable J.R. de la série Dallas qu’on nous impose dans des traductions particulièrement insipides.

16 mai 1994

Je rêve à un Airbus modifié avec salle d’exercice. Quoique inutile au plan des sondages, ça va être un beau numéro, ce n° 27 de CVphoto. Et la photographie dans tout cela ? J’essaie de m’en occuper…

Il a fait beau en fin de semaine!

Point de vue
Robert Legendre, Codirecteur