[Automne 1994]
par Robert Legendre
Le travail de Linda Dawn Hammond, tout comme son personnage, sortent de l’ordinaire, et la façon dont elle opère parfois, au plan de sa pratique photographique, procède autant du cri d’angoisse que de la surprise. Quel que soit le sujet qu’elle documente, elle nous gratifie de l’exclusivité de son regard, sans aucune prétention à l’objectivité.
Tout est traité, cependant, avec intelligence et sensibilité. Il en résulte une œuvre baignée d’un humour discret (d’aucuns le qualifieront de sinistre). Cela nous est livré sous la forme de tirages conventionnels – satisfaisant pleinement notre voyeurisme – ou sous la forme d’un assemblage d’éléments précis et structurés, regroupés en séries qui, chez Hammond, ont la caractéristique d’être en développement constant (work in progress).
Mon premier contact avec le travail de cette artiste remarquable date de la seconde édition du Mois de la Photo à Montréal, en septembre 1991. Des œuvres de sa série Personal Needs1 étaient alors présentées à la maison de la culture Marie-Uguay2. Sous un aspect narquois, ce travail n’en est pas moins critique face aux médias et à leurs utilisateurs.
Dans cette série, Linda Dawn Hammond se met en scène pour commenter avec humour et satire l’idéal humain véhiculé dans les annonces classées de diverses publications. Hammond n’avait jamais été encline, jusqu’alors, à se photographier elle-même ou à se laisser photographier par d’autres. Dans Personal Needs, elle ose, mais ne résiste pas cependant à l’idée de trafiquer l’autoportrait par le biais d’artifices tels que costumes, masques, bijoux et maquillage. Cette distance, ou pourrions-nous dire cette pudeur, se retrouve aussi dans sa manière de choisir ses thèmes de travail et de photographier les gens qui y paraissent.
Lors de la Présentation de portfolios de photographes, tenue dans le cadre de la troisième édition du Mois de la Photo à Montréal, en septembre 1993, j’ai vu, pour la première fois, Three Part Body, cette superbe série dont nous présentons ici quelques œuvres. La série regroupe des séquences présentées sous la forme de triptyques verticaux, juxtaposant trois prises de vue – de format horizontal – réalisées à partir du même point de vue, dans un même axe, mais à des angles et à des distances différents. Peut-être par timidité, Linda Dawn Hammond photographie uniquement les sujets de ses portraits séquences qui cadrent «naturellement» dans son univers. Cette série regroupe donc exclusivement des photographies de personnes sélectionnées et apprivoisées par l’artiste ou l’ayant apprivoisée.
L’origine de la série Three Part Body repose sur le portrait séquence que l’artiste réalisa de son fils Mishka en 1988. Ce dernier, conte Hammond, comme beaucoup d’enfants du même âge, était intrigué par son nombril à cette époque. Compte tenu du type de prise de vue et de l’efficacité du dispositif, elle décide d’appliquer systématiquement ce même processus au portrait qu’elle commence à réaliser de personnages familiers ou d’amis.
Enrichie par sa sensibilité particulière et par son intelligence de la/sa vie, la série Three Part Body nous expose à un volet particulier et saisissant d’une société urbaine de cette fin de siècle. Le sujet Mishka de 1988 est loin du sujet Charlie (en couverture) ou du sujet Ed de 1992 et 1994. Mais les principes d’organisation séquentielle des trois éléments photographiques ainsi que chacun de leurs éléments de composition respectifs (tête, tronc, pieds) persistent dans les œuvres qui composent la série actuelle.
Le regard complice des sujets photographiés reflète la passion de l’artiste pour son travail. Et seule cette complicité entre le photographiant et le photographié autorise le dévoilement de la vraie nature des officiants. Le processus d’action de l’artiste tient aussi bien du rite chamanique que d’une activité essentiellement sociale ou du travail de précision d’un bistouri. Quoique son territoire rituel soit immense, elle restreint volontairement son geste à quelques élus et à quelques sujets afin de conserver dans son travail une proportion familière et profondément humaine.
Les œuvres que nous publions ici reflètent la constance de Hammond face à son travail. Elles révèlent aussi l’essence de ses préoccupations plastiques et le fondement de son engagement artistique. Et ce n’est qu’un pâle reflet de la richesse de ses cartables.
2 Les maisons de la culture sont des centres culturels gérés par le Service de la culture de la Ville de Montréal.
Linda Dawn Hammond est venue à la photographie par le biais des hasards de la vie. L’artiste a effectué des études en journalisme à l’Université Carleton d’Ottawa et possède une formation en cinéma et en photographie du Ryerson Polytechnical Institute de Toronto. Elle a aussi obtenu un diplôme en photographie de l’Université Concordia de Montréal. Linda Dawn Hammond expose son travail dans des galeries d’art, mais aussi dans de nombreux lieux alternatifs.
Artiste de formation et photographe par passion, Robert Legendre travaille à la revue CVphoto, comme éditeur et codirecteur, depuis quelques années. Il est aussi professeur de photographie depuis de nombreuses années, dont les deux dernières au Collège Marsan de Montréal.