[Automne 1995]
par Marie-Josée Jean
Coordonnatrice du colloque et du volet d’exposition
Dès son invention en 1839, la photographie a suscité de nombreux débats en revendiquant son appartenance au langage artistique. Elle a su faire reconnaître les particularités de son expression formelle dont nous ne prenons pas toujours le temps d’apprécier la sensibilité et l’intensité.
Dans la montée du modernisme, l’attention a été portée sur cette particularité qu’a le photographique de cristalliser des instants fugitifs. Cette relation ambivalente entre le réel et le figuré nous a amenés à morceler la notion même de réalité. Depuis, les liens de plus en plus étroits que la photographie entretient avec les autres disciplines et ceux plus récents avec les technologies informatiques rendent son statut d’autant plus équivoque. La spécificité tout comme l’éclectisme de la photographie ont des incidences certaines sur la configuration des collections consacrées à la photographie. Aussi, la quatrième édition du MOIS DE LA PHOTO À MONTRÉAL se propose de mettre en évidence la présence de la photographie dans les collections des musées.
Il y a à peine trente ans, la photographie a été introduite discrètement au sein de nos institutions muséales. Les divers acteurs qui ont contribué à l’enrichissement de ces collections ont, par le fait même, constitué les bases d’une nouvelle culture photographique. Afin de mettre en valeur les dimensions multiples de la photographie dans les collections muséales, nous avons invité les musées à participer à un volet d’exposition consacré à la photographie dans leur collection respective, en mettant toutefois l’accent sur la présence de la photographie québécoise. Ces expositions offrent au public l’occasion de découvrir des œuvres photographiques souvent peu montrées de ces grandes institutions. Les musées, chacun à sa manière, proposent des paysages photographiques distincts, à l’image de leur mandat et de leurs intérêts.
Parallèlement à ces expositions se tiendra un colloque qui a pour but de faire participer la communauté artistique à un débat que nous souhaitons riche de conséquences pour l’avenir des collections photographiques au Québec. Des spécialistes québécois et canadiens y confronteront leurs points de vue quant à l’état des collections photographiques actuelles, et des spécialistes étrangers nous feront part des conséquences de la mise en œuvre de politiques d’enrichissement sur la reconnaissance de la discipline.
Cette question sera abordée en relation avec l’ambiguïté du statut de la photographie : devons-nous considérer la photographie pour ses qualités spécifiques, ou devons-nous appréhender ce médium à la lumière de son éclectisme? Les institutions muséales ou autres doivent-elles constituer des collections formées exclusivement de photographies, ou doivent-elles intégrer les œuvres photographiques à d’autres collections? Les incidences soulevées par la spécificité de la photographie, positionnée au carrefour des arts visuels et des arts médiatiques, ne sont pas négligeables puisqu’elles détermineront la configuration des collections d’aujourd’hui et de demain.
La question des collections photographiques déborde rapidement de son cadre et nous amène à nous questionner sur la notion de spécificité culturelle. Un patrimoine photographique devrait-il refléter la spécificité culturelle d’un pays ou doit-il être constitué à l’image d’une culture hybride? Devons-nous créer au Québec une nouvelle institution pour accueillir la production photographique québécoise?
Ces questions seront analysées à un moment où, considérant la place importante qu’occupe la photographie dans le champ des arts contemporains, il est devenu impératif de prendre des décisions en matière de collectionnement. Les acquisitions photographiques ont des conséquences déterminantes non seulement sur la constitution d’un patrimoine, mais encore sur la diffusion nationale et internationale de la photographie.