[Automne 1996]
Centre Canadien d’Architecture, Montréal
Du 17 avril au 4 août 1996
La catastrophe des choses c’est leur réalité. Inventée par Dieter Appelt, cette phrase, traduite en 26 langues, accompagne autant de photos noir et blanc représentant des détails architecturaux du grenier de la Kunstlerhaus Bethanien — un ancien hôpital transformé en galerie d’art — à Berlin. Avec cette série d’images présentée dans la salle octogonale du CCA, le commissaire et conservateur de la collection de photographies du Centre, Paolo Costantini, propose un projet typique du travail de Dieter Appelt orienté vers l’art conceptuel, réfléchissant sur le phénomène du passage du temps et les marques qu’il laisse sur les choses, les lieux et les corps, questionnant également les rapports du créateur avec son environnement physique et culturel. Une démarche où prime l’expérimentation formelle autour du médium photo, souvent marié à la poésie des mots ; un croisement qui ouvre des portes à une lecture plus sensible de l’œuvre.
Réalisé en 1984, Bethanien (titre original de la série) montre des vues analytiques de segments du plafond et des murs du lieu, observant la surface du bois de construction et les transformations qu’y imprime la rencontre entre la lumière, le temps et l’espace. La réalisation de certaines photographies joue sur le temps d’exposition (jusqu’à huit heures…). Pour d’autres, Appelt a superposé des négatifs ou réexposé la pellicule, créant des jeux de lignes et des angles ou des espaces fantômes. L’opération donne des images très texturées, insistant sur les lézardes, les replis, l’usure des matériaux, dégageant la structure-ossature du bâtiment.
La Kunstlerhaus Bethanien est située au cœur du quartier turc de Kreuzberg, à Berlin, et des gens venus de tous les coins du monde y vivent. La preuve en est que la compagne de Dieter Appelt a pu recueillir, dans les rues entourant le Bethanien, vingt-six versions linguistiques manuscrites de cette phrase de l’artiste : la catastrophe des choses, c’est leur réalité. Chacune des versions, accrochée sous une photographie, propose une forme de calligraphie différente, qui répond parfois à l’organisation formelle de l’image qu’elle accompagne. L’œuvre d’Appelt prend ainsi une couleur collective définie par l’intervention des résidents du secteur qui voient une part de leurs particularités culturelles devenir composante du projet et entrer au musée.
Le thème demeure austère, moins émouvant peut-être que les œuvres où Appelt mettait en scène son propre corps, utilisant sa présence comme matériau, surface d’inscription de la temporalité, montrant la fragilité de la vie et la place de l’humain dans l’environnement, naturel et culturel. Il peut cependant être reçu comme l’exploration d’un espace chargé d’histoire, devenu autre sous le regard de l’artiste : « transformer les constructions les plus simples pour créer un nouvel univers »… (D. Appelt, texte de présentation)