[Hiver 1996-1997]
Université de Sherbrooke, Sherbrooke
Du 1er juillet au 4 septembre 1996
Du Carnet d’absences au Voyage à domicile, en passant par Paysages mobiles et Conversations avec l’invisible, Bertrand Carrière a regroupé aux cimaises du hall du pavillon central de l’université de Sherbrooke quatre moments forts d’une itinérance échelonnée entre 1982 et 1993. Une centaine de photographies y défilent en accéléré, tâchant de baliser par tranches séquentielles le flux rapide d’un voyage impalpable. C’est que, où qu’il soit, Carrière fixe à l’envolée des situations désinvoltes, erre parmi les trains, les métros, les passants, les clochards sans jamais véritablement leur donner préséance. Chypre, Toulouse, Paris, Prague, Istanbul ou les îles de la Madeleine deviennent en quelque sorte des non-lieux à partir desquels le photographe tentera ni plus ni moins de se mirer.
La formule rétrospective de l’exposition fait un travail fort efficace en ce qu’elle permet de mieux rendre compte, à l’intérieur même de son travelling et de sa compression temporelle, des flottements, des écarts et de l’évanescence qui marquent la production de cet artiste. D’une image à l’autre les regards fuient et les trouées dans le fil narratif se creusent. Pourtant les sujets, eux, sont bien réels. Or, au moment où Carrière se distancie d’eux, le voilà miroitant sur la face vitrée d’une cabine de train ou concoctant (dans la série Carnet d’absences) son journal de bord en greffant sous ses photos des réflexions personnelles notées au jour le jour.
Dans une entreprise qui a tout à voir avec l’autoportrait, il apparaît clairement que l’artiste cherche ainsi à s’ancrer sous le poids d’un parcours transitoire. Dans le texte de présentation, Sylvain Campeau parle, à juste titre, d’un «besoin d’une appropriation de soi». À peine perceptible toutefois, la présence de l’artiste — et c’est là l’un des principaux points d’intérêt de ce travail — jette un voile translucide sur son œuvre. Cette présence cautionne à elle seule ce troublant chevauchement de proximité et de distanciation dans le rendu des images.
Avec Voyage à domicile, Bertrand Carrière clôt son périple en scrutant la cellule fermée de son espace privé. Son investigation y est cette fois plus explicite alors qu’il intervient fréquemment entre sa fille, sa compagne et ses amis. Jamais de complaisance ici, mais un engagement intime beaucoup plus senti, émotif et sensible. La série démontre bien, la grande maîtrise du photographe qui manie simultanément le naturel de la scène captée et les cadrages extrêmement réglés des images. Cette dernière étape dénote la cohérence d’une odyssée qui ne serait en fait qu’une grande quête personnelle des origines.