[Hiver 1996-1997]
Musée canadien de la photographie contemporaine
Du 20 septembre au 15 décembre 1996
«Mon père n’a pas été blessé, mais il ne s’en est jamais remis. Nous non plus.» Le commentaire anonyme d’un visiteur, épinglé parmi les histoires de guerre qui accompagnaient l’exposition Œuvres de guerre, nomme l’autre face du militarisme héroïque, celle que la conservatrice Val Williams a voulu dévoiler dans sa normalité aberrante. En juxtaposant les visions de 11 femmes qui utilisent comme stratégie la déconstruction du thème millénaire et usé de la guerre, elle s’infiltre dans ces zones à la périphérie du combat, entre le réel et la fiction, où se jouent sur le terrain et sur le corps des rapports de force explicites.
La guerre est une mutilation dans tous les registres de l’humain et du social que seule une multiplicité de perspectives esthétiques et critiques peuvent éclairer dans ses troublantes manifestations. Pour dépasser les réactions instinctives de pitié auxquelles nous ont conditionnés les photoreportages classiques de Margaret Bourke-White ou de Lee Miller, une reprise en charge avouée — et dédramatisée — du point de vue des auteures s’imposait. L’exposition opère à la manière d’un kaléidoscope : l’image composite privilégiée par plusieurs des photographes n’est pas seulement métaphorique mais emblématique d’une approche qui se sait fragmentaire.
Dans ses reconstitutions de champs de bataille (Verdun, Vimy, Ridge), Deborah Bright emprunte à la tradition panoramique du paysage pour en subvertir le déploiement grandiose : il ne reste que quelques moutons et une terre scarifiée sous l’apparente quiétude des champs. Avec le photomontage, Martha Rosler catapulte la guerre du Vietnam dans la domesticité des bungalows immaculés où se côtoient GIs et civils mutilés, propagés par la télévision comme une maladie contagieuse au cœur du rêve américain. Anna Fox s’improvise correspondante de guerre et renvoie du front des images de batailles de boules de peinture, jeu de détente auquel participent des Anglais en mal de combat. Le rituel guerrier trahit ici son infantilisme cru. Mais c’est la saisissante photo de Sophie Ristelhueber, Dos avec cicatrice, qui cerne avec le plus d’impact visuel comment le corps individuel mutilé porte la trace de l’intervention et la matérialité de la souffrance afférente.
Le parcours qui s’élabore avec ces productions questionne les limites du photoreportage ou du photodocumentaire comme témoignages crédibles et entiers. Les clichés traditionnels dans lesquels est archivée la mémoire des deux Guerres ont été remplacés par l’image télévisée pour la guerre du Vietnam, et la retransmission par satellite pour la guerre du Golfe. La vérité du moment condensée dans une prise de vue unique a cédé à la manipulation, à l’hybridation et aux permutations infinies qui compromettent aujourd’hui la véracité du document et le font basculer du côté de la fiction. L’exposition, tout en énonçant ces nouvelles conditions, établit néanmoins que le statut de témoin ou d’observateur qu’assument les photographes demeure significatif pour fonder et individualiser les points de vue dans le vaste champ anonyme de l’information.