[Printemps 1998]
par Jennifer Couëlle
Musée d’art contemporain de Montréal
17 octobre 1997 – 4 janvier 1998
Considérant l’engouement accru pour la photographie au cours des deux dernières décennies — à la fois chez les artistes et chez les diffuseurs d’arts visuels —, la présence photographique de l’exposition que consacrait récemment le Musée d’art contemporain de Montréal à la relève québécoise fut relativement modeste. Modeste, mais surtout en reste envers l’une des saillies du paysage photographique d’ici comme d’ailleurs. Car, sans doute importe-t-il moins que seuls sept des vingt-deux artistes participant à De fougue et de passion fassent œuvre avec la photographie, que ne le fait l’absence d’une représentation du vaste courant esthétique sondant comme sujet le vécu quotidien. Après tout, le culte de la vie de tous les jours n’est pas le propre des artistes consacrés — la poésie de l’ordinaire ne s’est pas éteinte après Raymonde April… Au contraire, elle évolue et sans cesse se découvre, comme en témoignent par exemple les productions de Yan Giguère, d’Anne Immelé et de Steve Leroux, pour ne nommer que ceux-là.
L’omission de la poésie du quotidien ne semble pas tant traduire un parti pris qu’une carence. Car les œuvres de Nicolas Baier, de Carol Dallaire, de Jacki Danylchuk, de Lucie Duval, d’Emmanuel Galland, d’Emmanuelle Léonard et d’Eugénie Schinkle rendent compte d’une diversité de tendances — la subversion de structures idéologiques (Duval et Galland), la ruse esthétique (Baier), la déconstruction et la construction plastique du médium (Danylchuk et Schinkle), la méditation socio-philosophique (Dallaire), la description objective (Léonard) — qui rend pour le moins incertaine l’équation entre l’inexistence d’images du quotidien et une quelconque vision esthétique préconisée par le musée. Si encore les œuvres photographiques retenues pour De fougue et de passion savaient s’imposer, la critique de cette exposition athématique et par défaut englobante aurait forcément été moins appuyée. Mais hormis les propositions de Nicolas Baier et d’Emmanuel Galland qui, sans souffrir d’un excès de profondeur, prévalent à cause d’une justesse dans leur rapport limpide entre forme et contenu, l’impression d’ensemble que dégage ce corpus photographique balance entre le trop, le pas assez, ou alors, comme dans les juxtapositions banales d’une imagerie pornographique et de réflexions «humanistes» de Carol Dallaire, le carrément à côté !
Galland, qui emprunte aux moyens de la publicité la présence ostensible comme la simplicité apparente du «message», et aux règles de l’art l’emploi de la grille minimaliste, se joue avec effet de l’invincibilité de Superman. Il lui a suffi d’appuyer aux murs trois immenses panneaux surmontés d’épreuves couleur donnant à voir des variations en plan rapproché du visage grossièrement ravagé d’une figurine Superman bon marché, pour nous rappeler que la mise en crise de modèles culturels demeure l’une des contributions les plus opérantes de l’âge postmoderne. Pour sa part, Nicolas Baier s’en remet à la logique de l’échantillonnage. Son trio quadrillé d’images triturées à l’écran affiche un fauteuil à carreaux dans le flou, un patchwork de références organiques et ornementales et des ondes de lumière orangée la nuit. Des surfaces magnétisantes offertes ni plus ni moins à la contemplation. Sorte de «what you see is what you see» qui présente un contraste bienvenu avec les certes recherchées mais combien alambiquées Femmes du Sud, de Lucie Duval, où l’on nous demande avec sérieux de nous intéresser à un système de codes détroussés où sont interrogés l’histoire de la peinture, le logo de Nike et l’envers de la passion. Quant aux accumulations d’Eugénie Schinkle, aux dentelles de plus en plus cellulaires de Jacki Danylchuk et aux intérieurs désaffectés d’Emmanuelle Léonard, la méthode est éprouvée et la formule semble les guetter. Comme quoi les pieds de nez faits aux impossibles héros de la culture de masse et de belles images qui ne sont que de belles images ont encore la capacité de se distinguer…