[Printemps 1998]
Paris, l’Harmattan, coll. «Champs visuels», 1996, 269 pages.
Oui, résignons-nous… Ces images indicielles, omniprésentes pendant plus d’un siècle, stimulant l’esthétique et la connaissance du monde, ne furent qu’une parenthèse dans l’histoire des images. Voilà résumé en quelques mots le propos de Pierre Barboza. L’étude historique, sociologique et sémiologique de cet intermède indiciel permet selon l’auteur de «mieux comprendre le changement médiologique annoncé par l’informatisation des images». Précisons d’emblée que cette mort annoncée de l’indiciarité concerne bien davantage, chez Barboza, la pratique de l’information ou encore l’image comme document. Les mises en œuvre du ça-a-été, selon la trop célèbre formule de Roland Barthes, ne constituent pas encore une espèce en voie de disparition dans le champ des arts contemporains.
La mutation du support photographique amène inévitablement des bouleversements dans notre rapport au monde. La photographie a été centrale pour l’expérience de nos cultures modernes. Comment se déploiera cette nouvelle rationalité du numérique ? Pour Barboza, «le régime de vérité propre à l’image-empreinte s’efface au profit du retour des effets de croyance, et de vraisemblance, caractéristiques des images de représentation». Or, s’il est exact que la numérisation de l’image rompt avec la temporalité propre du référent, faut-il nécessairement en conclure que nous assistons à une transformation importante du statut épistémologique de l’image ? Cet essai soulève des questions importantes.
Ainsi, d’après l’auteur, l’image numérique n’est plus un contact indiciel mais une ressemblance iconique, au sens que Charles S. Peirce a donné à ce terme. Plus précisément, le déploiement des effets sémantiques du numérique dans le domaine de l’image «nous fait passer de l’indice iconique à l’icône symbolique». Voilà pourquoi la parenthèse se referme et l’indiciarité n’aura constitué qu’un moment dans l’histoire des images. L’image numérique ne reproduit plus le réel mais le symbolise. Bref, un constat, avouons-le, un peu réducteur, mais le recours aux catégories peircéennes appelle peut-être ce type de généralisation… S’il n’est pas très nouveau de faire appel à la deuxième trichotomie du signe de Peirce pour définir la photographie, Barboza innove toutefois dans sa façon d’analyser la manière dont la technologie déploie ses effets sur le sens et les usages de l’image, en faisant ressortir l’importance de l’intentionnalité déléguée à l’objet technique. La photographie a modifié radicalement les modes de conception de l’image. Et la propriété indiciaire qui inaugure le problème de la relation de l’image au réel n’est pas demeurée propre à ce médium. En écrivant l’histoire des différents supports d’images (photographique, électronique et numérique), Barboza soulève des enjeux sociétaux fort importants, dont celui du «processus de confrontation entre la vérité et l’exactitude de la représentation». Une question obsédante depuis les philosophies de l’Antiquité et qui prend une nouvelle saveur en cette ère de l’information.
Spécialistes ou profanes se délecteront des anecdotes et des détails passionnants contenus dans cette petite histoire des images de captation. Dans le chapitre traitant du studio photographique, l’auteur nous décrit l’évolution des dispositifs d’éclairage et celle des décors de façon si vivante que nous voudrions y être. L’ensemble de l’ouvrage est très fouillé. On y apprend beaucoup. Saviez-vous que l’on transmet des images par voie téléphonique depuis 1907 ? Les informations techniques et technologiques sur les supports photographique, électronique et numérique sont nombreuses et bien étayées. Il faut déplorer toutefois l’absence d’index surtout dans un ouvrage qui traite de l’indice !