Graham Clarke, The Photograph – Christine Desrochers

[Automne 1998]


Oxford, Éditions Oxford University Press, Collection History of Art, 1997, 247 pages.

Dans cet ouvrage thématique, Graham Clarke, professeur adjoint à l’Université Kent de Canterbury, offre un point de vue éclairé et accessible sur la façon dont les images photographiques représentent et signifient. Voilà enfin un essai «socio­sémiotique» sur la photographie où les images jouent un rôle de premier plan. Clarke ne se sert pas des photographies pour exemplifier ses commentaires mais élabore son point de vue à partir de celles-ci : l’importance accordée à l’analyse de chaque image photographique en fait un ouvrage incontournable.

Clarke aborde, par chapitre, les grands thèmes habituels : le portrait, le corps, la ville et le paysage mais aussi un thème inhabituel «le cabinet de curiosité». Ici, l’auteur analyse la pulsion de voir du photographe tant dans l’horreur que le cocasse : cette question très prégnante est rarement abordée par les théoriciens de la photographie. Les deux premiers chapitres sont plus théoriques tout en demeurant abordables pour le lecteur moins familier avec les questions sémiotiques. S’interrogeant sur la façon dont nous produisons du sens devant une image de type photographique, Clarke souligne un aspect fondamental et bien souvent négligé : les usages multiples de la photographie modifient et influencent toujours notre production de sens. On ne catégorise pas si radicalement entre les champs de réception : une photographie présentée dans une galerie d’art pourrait aussi éveiller des attentes propres à une autre fonction de ce médium, comme celle par exemple de la pratique de l’information. Les photographes le savent et font bon usage de ces zones floues de la cognition.

Pour analyser ces images photographiques regroupées sous divers thèmes, Clarke reprend les structures dénotation/connotation et punctum/studium, dont Barthes fut le premier à faire usage en regard de la photographie. La dénotation, rappelons-le, correspond à ce qui est perçu à l’intérieur d’un message énoncé comme la référence immédiate et la connotation touche davantage aux valeurs culturelles ou esthétiques véhiculées par ce message. Autrement dit, la dénotation renvoie aux composants nommables et reconnaissables dans l’image alors que la connotation concerne le pouvoir d’évocation de ces agrégats de formes reconnaissables ou non. Clarke, dans la tradition de Roland Barthes mais aussi d’Umberto Eco, accorde beaucoup d’importance dans la production du sens à ces valeurs doxiques issues de la culture. Une position qui l’inscrit nettement dans le vaste champ théorique des études culturelles. Les recherches de ce côté sont très prolifiques mais on peut questionner ce point de vue totalisant où l’on tend à abolir les distinctions entre les différentes applications de la photographie. Toutefois, en revenant constamment aux objets d’analyse, Clarke nuance habilement entre les considérations plus générales sur la culture photographique et les connotations culturelles véhiculées par chaque image. L’usage de la structure punctum/studium l’aide à cet égard à particulariser le champ de réception ainsi que l’analyse du contenu représentationnel. Le punctum concerne une zone particulière de l’image qui attire davantage l’attention du spectateur dans le regard qu’il pose sur une représentation tandis que le studium procède de l’espace culturel de participation à la représentation. Il faut souligner à quel point sous la plume de Clarke ces structures d’analyses «popularisées» par Barthes suscitent un intérêt nouveau. Par ailleurs, l’auteur pousse plus loin, avec cohérence et rigueur, la dimension psychanalytique du célèbre punctum de Barthes. Pour l’ensemble des analyses, les commentaires sur les différentes images sont justes et éclairants.

On peut déplorer cependant que dans ce bel ouvrage comme souvent dans les essais plus généraux sur la photographie, nous sont présentés les mêmes travaux d’art contemporain. Par exemple, la production de Cindy Sherman est certes digne d’attention mais n’y a-t-il pas d’autres photographes ayant travaillé la question de l’identité et du corps ? Malgré cette réserve quant au corpus, il faut louer cette approche analytique qui demeure toujours près des images. En résumé, l’ouvrage présente des qualités indéniables ; on y retrouve également une courte bibliographie commentée ainsi qu’un tableau synoptique des grands événements politiques et artistiques depuis 1890.