[Été 1999]
par Sylvie Laliberté
L’affection c’est facile. C’est donné-donné. Si c’est forcé c’est raté. Et rater un moment de tendresse c’est pire que de rater un gâteau.
Un moment de tendresse, c’est du même ordre que bailler. C’est sans volonté. Ça va de soi et ça tombe sur l’autre. Et puis c’est vite oublié. C’est parti au pays des tendresses et on ne sait pas où c’est.
Énumérer ces moments-là, c’est de mauvais goût. Dans un roman mou l’auteur fait des descriptions du héros qui prend dans ses mains la tête de la fille aux cheveux. (Les filles ont toujours des cheveux). Mais les champions de la tendresse sont nuls.
La tendresse haut de gamme n’existe pas : on ne sait jamais avec la tendresse. Ça ne comporte aucun savoir ni même de bon goût. Pas de savoir, pas de bon goût et les références S.V.P. ? Je préfère la révérence à la fin d’un petit poème mal récité. Un petit mouvement du corps que l’on fait soit en s’inclinant, soit en pliant les genoux.
Les signes d’affection sont nombreux. Une femme a un sac à main. C’est là qu’elle loge ses outils pour l’affection qu’elle se porte à elle-même. Et en général elle est toujours prête à partager.
Quant à monsieur il doit l’inventer au fur et à mesure. Et il en est bien capable.
Les enfants ont un toutou.
Et les animaux de maison sont exclusivement fabriqués à cet effet. Ils lèchent le visage et sont contents quand vous arrivez. Même pour les humains, les arrivées et les départs sont très propices pour l’affection. Mais le mieux c’est de rester et d’aimer.
Bien sûr certains vont se promener, ils vont faire faire un tour à leur tendresse. Et elle aime bien ça. Mais à un moment donné (et tous les moments sont donnés) il peut arriver que c’est trop loin, que c’est trop long et qu’il ne fait pas beau. Alors l’envoi est un bon procédé. Envoyer quelque chose à quelqu’un peut faire l’affaire. Envoyer un objet comme une tasse de café vide, ou un pain, ou de la musique ou un parfum. Simplement pour identifier le point sur lequel vous vous tenez. Et l’envoi forcera la réception.
Mais si vous êtes trop loin et trop fatigué. Vous pouvez aussi aller vous coucher. Se reposer est un pas vers l’affection. On ne peut reposer quelqu’un d’autre. Je ne puis reposer personne. Mais on peut dormir un peu. Les oreillers sont faits pour déposer notre tête. Déposer sa tête est très bon.
J’adore éternuer. C’est à la vitesse de la lumière.
Photographier c’est pareil.
Et puis l’odeur des fruits dans la maison. Ça fait la maison.
Les biscottis sont conçus pour de l’impolitesse.
Il faut les rendre mous en les trempant dans la tasse de café.
C’est pas poli.
Quand je serai vieille, je pourrai faire ça.
J’espère que j’aurai des amis quand je serai vieille.
C’est le bon temps pour les amis.
On enlèvera nos fausses dents et on trempera les biscottis.
«Mon chou» est une expression qui n’intéresse pas mon amoureux.
Il ne comprend pas cette expression et ne veut pas de mon chou dans la maison.
Un chou c’est pas cher, c’est partout et ça fait péter.
Alors je suis Joby Joe.
Joby Joe est une aventurière qui est heureuse d’avoir préparé le dîner pour deux.
Je lui ai dit que j’allais penser à lui. Et c’est vrai, je pense à lui.
Je sais pas exactement qu’est-ce que cela donne de penser aux gens.
Je sais pas. Pourtant c’est une de mes activités.
On a tous eu une tendre enfance plus ou moins tendre.
Sur une photo. J’étais petite. J’étais une ballerine.
Et je n’avais pas de dents. Ça m’allait très bien pas de dents.
Et puis ne pas oublier qu’on a tous besoin de quelqu’un qui est habillé chaudement.
Sylvie Laliberté vit et travaille à Montréal. Elle pratique l’art de la performance, l’art de la vidéo et, quelquefois, exécute des estampes. Elle peut aussi chanter, se dandiner et raconter. Son travail a été présenté à Montréal dans plusieurs galeries et au Musée d’art contemporain, ainsi qu’en Belgique, en France, au Maroc, en Israël et au Canada. Beaucoup de pays ; ça paraît toujours bien. Depuis 1997, elle a été adoptée par la galerie Christiane Chassay à Montréal.