Marian Penner Bancroft, By Land and Sea (Prospect and Refuge) – Mona Hakim

[Automne 2000]


par Mona Hakim

Galerie de l’UQAM
du 8 septembre au 7 octobre 2000

Voyage initiatique que celui de l’artiste de Vancouver, Marian Penner Bancroft, dans lequel défilent une quarantaine de photographies en couleur montrant des paysages d’Ukraine et d’Écosse, pays de ses ancêtres. Cartes géographiques, mots parcourant les murs, photographies d’archives composées de groupes de déportés et de portraits des parents et arrière-grands-parents de l’artiste viennent ponctuer un accrochage en enfilade de paysages qu’elle a captés, pour certains d’entre eux, depuis un train ou un bateau. Un accrochage bipartite, où les vastes terres écossaises des ancêtres maternels de l’artiste prolongent les horizons beaucoup plus compacts du bassin du fleuve Dniepr, au sud de l’Ukraine, berceau de ses racines paternelles issues d’une communauté de Mennonites germanophones.

Le titre By Land and Sea (Prospect and Refuge) souligne bien les polarités que recèle cette production où terre et mer traduisent à la fois les horizons lointains et les espaces intérieurs. L’expression Prospect and Refuge est délibérément tirée des termes-concepts du géographe Jay Appleton, pour qui le paysage est d’abord refuge, abri, terre d’asile, mais aussi champ ouvert et perspective d’espoir. Les longues traversées que figure la trame géographique, de même que les images de la déportation qu’ont vécue les deux familles, ajoutent une charge sociale à une nature déjà porteuse d’histoire. À la dimension sociale, Penner Bancroft appose dès lors l’espace privé. Car, en revenant sur les routes de ses ancêtres, cette artiste – habituée dans ses corpus antérieurs à exploiter les sphères de la mémoire – fait bel et bien un retour sur elle même, s’engageant dans un voyage intime à la recherche de sa propre identité. Documents visuels, langage poétique et territoires traversés sont autant de traces physiques qui reconstituent le fil des événements de son journal personnel.

Bien que cette quête des origines en forme de pèlerinage ne soit pas nouvelle au sein des pratiques photographiques actuelles, l’entreprise demeure somme toute louable. Il importe toutefois d’en réévaluer les moyens. Le paysage, on l’a dit, jouit d’une forte charge d’affects et d’histoire. De fait, les sites écossais, désertiques, atmosphériques, menaçants ou apaisants avec leurs tons orangés et bleutés dans lesquels s’amalgament terre, ciel et mer, parviennent à nous attirer. La récurrence de chemins sinueux soulignant les lignes de fuite multiplie les perspectives possibles et nous engage aisément dans les méandres de la mémoire, en route pour le long voyage introspectif. En ce sens, la présence de cartes géographiques vient compléter avec justesse les signes formels d’une production basée sur les territoires topographiques, lieux de déplacements, de ruptures et de changements.

La compréhension du propos pourrait très bien se satisfaire de ces simples référents formels. Or, une kyrielle de mots transcrits ça et là sur les murs, en plus des textes explicatifs sur l’historique de ce qui est donné à voir, s’ajoute à de trop nombreux portraits de plus de cinq générations d’ancêtres. L’ensemble tend à trop de littéralité, pour ne pas dire de didactisme, ce qui alourdit inévitablement le contenu. N’est-ce pas d’ailleurs le piège qui guette toute production dont le concept précède les modalités formelles ?

On ne peut reprocher à Marian Penner Bancroft ses emprunts à l’esthétique profondément connotée du paysage canadien — qu’il soit pictural ou photographique —, avec ses espaces infinis à saveur romantique. La conscience collective et la force historique que sous-tend cette esthétique donnent raison au choix de l’artiste, préoccupée a priori par son propre album de famille. En réinterprétant les « voies » laissées par ses prédécesseurs, il lui était toutefois possible, à travers son projet autobiographique, d’en extirper ce qu’elles possèdent de plus déviant.